Louis-Honoré FRÉCHETTE (1839-1908) (Recueil : Feuilles volantes) - La forêt canadienne
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Louis-Honoré FRÉCHETTE (1839-1908) (Recueil : Feuilles volantes) - La forêt canadienne C'est l'automne. Le vent balance Les ramilles, et par moments Interrompt le profond silence Qui plane sur les bois dormants. Des flaques de lumière douce, Tombant des feuillages touffus, Dorent les lichens et la mousse Qui croissent au pied des grands fûts. De temps en temps, sur le rivage, Dans l'anse où va boire le daim, Un écho s'éveille soudain Au cri de quelque oiseau sauvage. La mare sombre aux reflets clairs, Dont on redoute les approches, Caresse vaguement les roches De ses métalliques éclairs, Et sur le sol, la fleur et l'herbe, Sur les arbres, sur les roseaux, Sur la croupe du mont superbe, Comme sur l'aile des oiseaux. Sur les ondes, sur la feuillée, Brille d'un éclat qui s'éteint Une atmosphère ensoleillée : C'est l'Eté de la Saint-Martin ; L'époque ou les feuilles jaunies Qui se parent d'un reflet d'or, Emaillent la forêt qui dort De leurs nuances infinies. O fauves parfums des forêts ! O mystère des solitudes ! Qu'il fait bon, loin des multitudes, Rechercher vos calmes attraits ! Ouvrez-moi vos retraites fraîches ! A moi votre dôme vermeil, Que transpercent comme des flèches Les tièdes rayons du soleil ! Je veux, dans vos sombres allées, Sous vos grands arbres chevelus, Songer aux choses envolées Sur l'aile des temps révolus. Rêveur ému, sous votre ombrage, Oui, je veux souvent revenir, Pour évoquer le souvenir Et le fantôme d'un autre âge. J'irai de mes yeux éblouis, Relire votre fier poème, O mes belles forêts que j'aime ! Vastes forêts de mon pays ! Oui, j'irai voir si les vieux hêtres Savent ce que sont devenus Leurs rois d'alors, vos anciens maîtres, Les guerriers rouges aux flancs nus. Vos troncs secs, vos buissons sans nombre Me diront s'ils n'ont pas jadis Souvent vu ramper dans leur ombre L'ombre de farouches bandits, J'interrogerai la ravine, Où semble se dresser encor Le tragique et sombre décor Des sombres drames qu'on devine. La grotte aux humides parois Me dira les sanglants mystères De ces peuplades solitaires Qui s'y blottirent autrefois. Je saurai des pins centenaires, Que la tempête a fait ployer, Le nom des tribus sanguinaires Dont ils abritaient le foyer. J'irai, sur le bord des cascades, Demander aux rochers ombreux A quelles noires embuscades Servirent leurs flancs ténébreux. Je chercherai, dans les savanes, La piste des grands élans roux Que l'Iroquois, rival des loups, Chassait jadis en caravanes. Enfin, quelque biche aux abois, Dans mon rêve où le tableau change, Fera surgir le type étrange De nos hardis coureurs des bois. Et brise, écho, feuilles légères, Souples rameaux, fourrés secrets, Oiseaux chanteurs, molles fougères Qui bordez les sentiers discrets. Bouleaux, sapins, chênes énormes, Débris caducs d'arbres géants, Rocs moussus aux masses difformes, Profondeurs des antres béants. Sommets que le vent décapite, Gorge aux imposantes rumeurs, Cataracte aux sourdes clameurs : Tout ce qui dort, chante ou palpite ... Dans ses souvenirs glorieux La forêt entière drapée, Me dira l'immense épopée De son passé mystérieux. ................................. Mais, quand mon oreille attentive De tous ces bruits s'enivrera, Tout près de moi retentira ... Un sifflet de locomotive !
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