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MADAME DE SÉVIGNÉ (1626-1696) Marie de RABUTIN-CHANTAL, marquise de.

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Au même rang que Montaigne et Rousseau, Mme de Sévigné signe une des très rares entreprises authentiquement originales d'accomplissement du moi par la littérature. Les Lettres, comme les Essais et les Rêveries, sont des instruments d'existence et non des alibis, des autobiographies, sans projet autobiographique qui informe et, par conséquent, déforme. Cet épanchement de la vie dans l'écriture, cette captation de sa substance par les mots, qui prétend se passer du filet de la forme, relève évidemment de la virtuosité pure, pour ne pas demeurer au stade de l'amas informe. Cette virtuosité vient du génie bien sûr, mais il n'y a pas de génération spontanée en matière de style. Mme de Sévigné est une femme savante. Son goût et les occasions fournies par son milieu ont formé en elle une conscience littéraire aiguë. Les livres lui procurent autant de plaisir que les arbres de son parc. Elle en apprécie la perspective, l'harmonie, le développement, avec un oeil de jardinier et non de promeneur. « Qu'on est heureux d'aimer à lire. » C'est du même oeil qu'elle observe et surveille son style, dans un constant et sévère dédoublement critique. Certes elles improvise constamment, sans rature ni reprise, mais avoue « laisser reposer » parfois la lettre, commente sans arrêt sa « forme », au sens sportif du terme. L'improvisation est en effet la forme suprême de l'art, la « pierre de touche de l'esprit ».

« MADAME DE SÉVIGNÉ (1626-1696) Marie de RABUTIN-CHANTAL, marquise de. Au même rang que Montaigne et Rousseau, Mme de Sévigné signe une des très rares entreprises authentiquement originales d'accomplissement du moi par la littérature.

Les Lettres, comme les Essais et les Rêveries, sont des instruments d'existence et non des alibis, des autobiographies, sans projet autobiographique qui informe et, par conséquent, déforme.

Cet épanchement de la vie dans l'écriture, cette captation de sa substance par les mots, qui prétend se passer du filet de la forme, relève évidemment de la virtuosité pure, pour ne pas demeurer au stade de l'amas informe.

Cette virtuosité vient du génie bien sûr, mais il n'y a pas de génération spontanée en matière de style.

Mme de Sévigné est une femme savante.

Son goût et les occasions fournies par son milieu ont formé en elle une conscience littéraire aiguë.

Les livres lui procurent autant de plaisir que les arbres de son parc.

Elle en apprécie la perspective, l'harmonie, le développement, avec un oeil de jardinier et non de promeneur.

« Qu'on est heureux d'aimer à lire.

» C'est du même oeil qu'elle observe et surveille son style, dans un constant et sévère dédoublement critique.

Certes elles improvise constamment, sans rature ni reprise, mais avoue « laisser reposer » parfois la lettre, commente sans arrêt sa « forme », au sens sportif du terme.

L'improvisation est en effet la forme suprême de l'art, la « pierre de touche de l'esprit ». Je suis tellement libertine quand j'écris que le premier tour que je prends règne tout au long de ma lettre.

Il serait à souhaiter que ma pauvre plume, galopant comme elle fait, galopât au moins sur le bon pied. On ne peut que gémir sur le sort qui a été réservé à un tel texte, dont tout le génie est dans sa liberté de pensée et d'expression.

L'une a été censurée, l'autre corrigée, par l'action conjointe, au XVIIIe siècle, d'un éditeur sans scrupule et sans goût et d'une héritière bigote et stupide, dont l'alliance malfaisante se consomme irrémédiablement par l'acte de vandalisme qu'est la destruction des originaux des lettres.

Tous les minutieux travaux de réfection tentés depuis, à l'aide de copies parallèles partielles, ne peuvent que donner une idée de l'étendue du désastre.

Le texte a été infléchi dans le sens « marquise » et « commère », de l'afféterie et de l'anodin, défiguration parachevée par l'inévitable réduction aux morceaux choisis d'une telle oeuvre.

Telle qu'elle est cependant, cette oeuvre, prise dans sa totalité, a fasciné Gide, Proust, Virginia Woolf, Jouhandeau, assez connaisseurs pour casser les clichés. Mme de Sévigné ne se lit pas dans sa continuité, car il y a trop de « landes » à traverser dans ses Lettres, elle se pratique, comme Montaigne, par incursions successives, seules capables de donner, à la longue, une idée de l'étendue de son emprise sur le monde qu'elle capte.

Le projet littéraire explicite étant impensable avec une telle ambition, c'est l'amour maternel qui se trouve être l'alibi idéal de son épanouissement mais non de sa naissance.

La Correspondance commence avant la séparation d'avec la fille et existe en dehors d'elle.

Les lettres à Pomponne et à Bussy sont essentielles.

L'ensemble de la Correspondance constitue une réflexion, faite d'un point de vue privilégié, qui coïncide avec un esprit exceptionnel.

Il y a la part de la confidence et celle du jugement, l'introspection et le reportage, le regard sur soi et le regard sur autrui.

Il n'y a pas de ligne de partage entre ces deux domaines, pas plus qu'entre l'affectivité et l'intellect, l'une très intense, l'autre très étendu, sans qu'on puisse prétendre que l'un domine l'autre, à moins d'amputer le texte, entreprise constamment réitérée. La présence du coeur est immédiate mais elle n'est pas envahissante.

Mme de Sévigné en a, en effet, conscience.

« Avec un coeur comme le mien » dit-elle.

C'est l'affectivité qui donne toute sa couleur au texte, c'est elle qui explique le génie de la formule, dont on a tout dit quand on a dit qu'elle est saisissante.

« Si j'avais un coeur de cristal, où vous pussiez voir la douleur triste et sensible qui m'a pénétrée ».

(10 janv.

1680) L'expression du sentiment de l'amour et du sentiment de la mort offre un florilège de créations poétiques instantanées.

« J'ai toujours cette Grignan dans la tête, et cela trouble mon repos » (à Guitaut, 23 nov.

1673).

« Monsieur de La Rochefoucauld est toujours mort » conclut-elle le 20 mars 1680, une lettre commencée le 17, « la tête si pleine de ce malheur ».

Le sentiment est le plus souvent masqué par l'humour quand il cherche à s'exprimer directement, par contre il sous-tend toutes les relations d'événement et leur donne le relief de la vie. Mme de Sévigné possède, par ailleurs, la forme supérieure d'intelligence qui consiste à donner l'intelligence des choses sans effort apparent et sans prétention dogmatique.

Rien ne peut l'empêcher de faire ses délices de la littérature, de la politique et de la religion, ni d'en donner le goût.

Discernement, perspicacité et partialité sont les trois vertus de son sens critique, c'est-à-dire qu'elle échappe à la fausse objectivité, qui aplatit les faits, et qu'elle ouvre la perspective à partir de son point de vue.

Sa préférence pour Corneille enrichit la connaissance de Racine. Sur la bataille de Senef par Condé elle instruit en une phrase : « Nous avons tant perdu à cette victoire que, sans le Te Deum et quelques drapeaux portés à Notre-Dame, nous croirions avoir perdu le combat » (à Bussy, 5 sept. 1674).

Sur le jansénisme, qui a toute sa sympathie : « Leur malheur c'est que le pape est un peu hérétique », ou encore : « Ces écritures célestes sont quelquefois bien difficiles à déchiffrer ».

Intellectuellement, elle prend le parti de la docte ignorance socratique et pascalienne, contre l'ignorance doctorale des systèmes philosophiques ambitieusement dominateurs. N'en déplaise à votre Père Malebranche, ne ferait-il pas aussi bien de s'en tenir à ce que dit saint Augustin, que Dieu permet toutes ces choses parce qu'il en tire sa gloire par des voies qui nous sont inconnues ? [...] Si nous ne suivons pas cette doctrine, nous aurons le déplaisir de voir que, rien dans le monde n'étant quasi dans l'ordre, tout s'y passera contre la volonté de celui qui l'a fait ; cela me paraît bien cruel. À Mme de Grignan, 31 juillet 1680. Oeuvre multiple, foisonnante et irréductible, la Correspondance de Mme de Sévigné est une oeuvre-clef pour la connaissance du XVIIe siècle dans son esprit, et du fait littéraire dans ce qu'il a de plus élémentaire : la communication par lettres.

De cette possible métamorphose de la vie en art, l'auteur eut obscurément conscience : « Voilà donc ma lettre "nommée" : [..

c'est une marque de son mérite singulier.

Je ne devine jamais l'effet que mes lettres feront ; celui-ci est heureux » (17 janv.

1689), elle ne s'arrêta d'écrire qu'au seuil de l'ultime et lucide confidence : « Pour moi, je ne suis plus bonne à rien ; j'ai fait mon rôle et, par mon goût, je ne souhaiterais jamais une si longue vie ; il est rare que la fin et la lie n'en soient humiliantes » (10 janv.

1696).. »

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