Madame de Sévigné, Lettre du 3 février 1695 à Emmanuel de Coulanges.
Extrait du document
«
Mme de Chaulnes me mande que je suis trop heureuse d'être ici avec un beau soleil ; elle croit que tous nos jours sont
filés d'or et de soie.
Hélàs ! mon cousin, nous avons cent fois plus de froid ici qu'à Paris ; nous sommes exposés à tous
les vents ; c'est le vent du midi, c'est la bise, c'est le diable, c'est à qui nous insultera ; ils se battent entre eux pour
avoir l'honneur de nous renfermer dans nos chambres ; toutes nos rivières sont prises ; le Rhône, ce Rhône si furieux,
n'y résiste pas ; nos écritoires sont gelés ; nos plumes ne sont plus conduites par nos doigts qui sont transis ; nous ne
respirons que de la neige ; nos montagnes sont charmantes dans leur excès d'horreur ; je souhaite tous les jours un
peintre pour bien représenter l'étendue de toutes ces épouvantables beautés : voilà où nous en sommes.
Contez un
peu cela à notre duchesse de Chaulnes, qui nous croit dans des prairies, avec des parasols, nous promenant à l'ombre
des orangers.
Madame de Sévigné, Lettre du 3 février 1695 à Emmanuel de
Coulanges.
PLAN DETAILLE
ELEMENTS POUR UNE INTRODUCTION
1.
Présentation de l'extrait
Mme de Sévigné se trouve à Grignan, dans le sud de la France, chez sa fille, la femme du Conte de Grignan,
lieutenant général de Provence.
— Elle écrit à son cousin germain à propos d'une lettre qu'a envoyée Mme de
Chaulnes, une amie (il s'agit de l'épouse du gouverneur de Bretagne).
Esquisse d'une petite société d'aristocrates, un cercle au centre duquel brille la marquise.
Elle y brille à distance par sa verve d'épistolière.
2.
Annonce du plan
Rappel de la définition du mot verve : une bien curieuse étymologie ! Le mot vient du latin vervex, signifiant :
tête de bélier !
La verve, c'est d'abord la fantaisie, le caprice (copra : chèvre !), et puis ajoute le dictionnaire littré : Une chaleur
d'imagination qui anime le poète, l'orateur, l'artiste, dans sa composition.
Cet extrait nous donne l'illustration des deux sens du mot verve : une extrême fantaisie qui se manifeste à chaque
ligne, une forte imagination qui enfièvre littéralement la marquise.
I.
LA FANTAISIE
1.
Dans la composition de la page
Formellement l'extrait proposé semble ne pas manquer d'unité.
Il s'agit de détromper Mme de Chaulnes sur les
conditions atmosphériques qui règnent dans le midi.
Le texte s'ouvre sur l'évocation d'une lettre de Mme de
Chaulnes.
« Mme de Chaulnes me mande...
», il se ferme sur l'ordre d'aller rapporter le contenu de la lettre à cette amie
précisément - « Contez un peu cela à notre duchesse...
».
Toutefois cette unité apparente ne doit pas masquer un réel désordre dans cette évocation du mauvais temps :
les vents, le Rhône, le gel, le froid, la neige, tout cela est évoqué pêle-mêle dans des phrases toujours
juxtaposées à la rédaction desquelles semble n'avoir présidé que la fantaisie de la marquise.
Il n'y a pas de trace
de subordination des idées entre elles, des tableaux entre eux qui se succèdent avec vivacité.
2.
Dans la gaieté du ton
Incoercible gaieté de celle à qui Mme de La Fayette disait : « La joie est l'état naturel de votre âme.
»
Cette gaieté se communique ici à l'imagination pour rendre comique le moindre détail et faire sourire M.
de
Coulanges aux dépens de la marquise et des siens.
Il s'agit bien d'amuser : « nos montagnes sont charmantes dans leur excès d'horreur ».
3.
Le plaisir de l'hyperbole
La marquise prend plaisir à énumérer les exagérations :
« Nous avons cent fois plus froid ici qu'à Paris » « Nous sommes exposés à tous les vents »
« nos écritoires sont gelés ».
»
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