Malraux, dans l'Homme précaire et la littérature, écrit que « le génie du romancier est dans la part du roman qui ne peut être ramené au récit ». Vous commenterez et éventuellement discuterez cette affirmation à la lumière d'exemples précis empruntés à votre expérience personnelle de lecteur de romans ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet et problématisation :
Il s'agit d'abord d'expliquer cette citation de Malraux sur le génie du romancier.
Malraux semble ici postuler
l'existence d'un champ du roman qui se situerait hors du récit et qui serait le siège du génie.
Le roman est divisé en deux champs : d'une part un champ qui serait celui du récit, c'est-à-dire, celui de la
narration d'une histoire, de la description d'un cadre spatio-temporel dans lequel évoluent des personnages, d'autre
par, un autre champ qui serait celui du génie romanesque.
Cette autre « part du roman » à laquelle Malraux fait
allusion c'est l'espace du rêve, l'espace de la fabulation de l'imaginaire, le jeu du romancier avec l'écriture même.
Cette citation montre, de façon étonnante si l'on considère la tradition romanesque, que le récit n'est pas la
fin du roman.
La construction du récit ne fait pas le génie du romancier selon Malraux.
Bref, le romancier n'est pas
qu'un simple conteur !
Problématique : En quoi le génie du romancier réside-t-il ?
I)
Si le récit est le support incontestable du roman…
Le récit est le support de tout roman et son agencement est souvent considéré comme la marque du génie
du romancier.
On peut penser d'abord que c'est à travers une utilisation habile du récit que le génie transparaît.
1) La construction du personnage romanesque
Le personnage romanesque demande une construction très habile dans laquelle on a pu faire résider une part
du génie du romancier : il est à la fois un des actants particulier du récit et une figure visant une certaine
universalité pouvant marquer les lecteurs.
Le personnage de roman constitue, pour l'imaginaire et la pensée
modernes, l'un des outils les plus opératoires pour décrire et explorer l'existence humaine.
Le génie du romancier
pourrait constituer à transformer, à travers le récit, un personnage type en universel.
NB : on peut se référer ici à l'étymologie du mot personnage : persona = le masque et personare = résonner
à travers à le personnage porte donc un masque à mille résonances
Ex : Le personnage de roman au XIXe siècle : il cristallise des postulations typiques de l'individu dans la
société marchande et devient un mythe c'est-à-dire un personnage capable de signifier une attitude, une aspiration
représentatives d'un groupe tout entier à un moment de son histoire.
àCf.
Homais dans Madame Bovary qui incarne le mythe d'un républicanisme étroit et sectaire, d'une culture
mal assimilée et pourtant étalée, d'une « langue de bois » avide de pouvoir.
à Cf.
le génie balzacien réside dans la volonté de « faire concurrence à l'état civil » à travers ses
personnages.( du particulier on passe à des figures générales voire universelles)
2) Maîtrise des techniques du récit
Le génie peut se fonder sur l'exploitation habile des ressources techniques du récit : il transcende les
contraintes habituelles de la narration et de la description.
Le génie réside par exemple dans l'utilisation des
puissances de signification de la description : de simple ornement elle acquiert une fonction expressive voir
symbolique.
Ex :
·
Un passage des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau :
Depuis quelques jours on avait achevé la vendange; les promeneurs de la ville
s'étaient déjà retirés; les paysans quittaient les champs jusqu'aux travaux d'hiver.
La
campagne encore verte et riante, mais défeuillée en partie et déjà presque déserte, offrait
partout l'image de la solitude et des approches de l'hiver.
Il résultait de son aspect un
mélange d'impression douce et triste trop analogue à mon âge et à mon sort pour que je n'en
fisse pas l'application.
Je me voyais en déclin d'une vie innocente et infortunée, l'âme encore
pleine de sentiments vivaces et l'esprit encore orné de quelques fleurs, mais déjà flétries par
la tristesse et desséchées par les ennuis.
Seul et délaissé, je sentais venir le froid des
premières glaces.
à La description ne vaut plus seulement pour elle-même, en tant qu'imitation d'un décor ou d'un paysage.
Elle
établit une relation entre l'extérieur et l'intérieur, la nature et les sentiments de celui qui la contemple.
En décrivant
la nature on cherche à exprimer un paysage psychique.
( étudier le dédoublement de la description dans lequel
transparaît le génie du romancier)
·
La description symbolique à valeur proleptique chez Huysmans dans A Rebours : cf.
le passage où Des
Esseintes, le personnage principal se fait livrer des fleurs rares qui sont longuement décrites comme ayant
l'allure fantastique et répugnante d'ulcères syphilitiques.
Peu après, Des Esseintes fait un cauchemar au
cours duquel il voit apparaître le spectre de la Grande vérole.
Et la déchéance physique de Des Esseintes
à la fin du roman, atteint d'une maladie nerveuse nous est ainsi discrètement expliquée par avance.
La
description n'est plus alors seulement symbole de significations immédiates, elle préfigure ce qui va
advenir du personnage ou de l'action dans la suite du récit.
( résolution géniale du conflit entre narration
t description.
3) Le récit : un voyage intellectuel
Le récit, plus qu'un enchaînement d'aventures, qu'un agencement bien maîtrisé de relations et d'actions peut
se présenter aussi comme un véritable périple intellectuel, une odyssée spirituelle et littéraire.
Le génie du romancier
peut aussi venir de la densité de son récit : lire un roman devient donc un défi pour chaque lecteur..
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