Marc-Antoine DESAUGIERS (1772-1827) (Recueil : Chansons) - Tableau de Paris (A cinq heures du soir)
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Marc-Antoine DESAUGIERS (1772-1827) (Recueil : Chansons) - Tableau de Paris (A cinq heures du soir) En tous lieux, la foule Par torrents s'écoule ; L'un court, l'autre roule ; Le jour baisse et fuit ; Les affaires cessent, Les dîners se pressent, Les tables se dressent, Il est bientôt nuit. Là, je devine Poularde fine Et bécassine Et dindon truffé ; Plus loin, je hume Salé, légume, Cuits dans l'écume D'un boeuf réchauffé. Le sec parasite Flaire et trotte vite Partout où l'invite L'odeur d'un repas ; Le surnuméraire, Pour vingt sous, va faire Une maigre chère Qu'il ne paiera pas. Plus loin, qu'entends-je ? Quel bruit étrange Et quel mélange De tons et de voix ? Chants de tendresse, Cris d'allégresse, Chorus d'ivresse Partent à la fois ! Les repas finissent, Les teints refleurissent, Les cafés s'emplissent, Et, trop aviné, Un lourd gastronome De sa chute assomme Le corps d'un pauvre homme Qui n'a pas dîné. Le moka fume, Le punch s'allume, L'air se parfume, Et de crier tous : " Garçon, ma glace, - Ma demi-tasse, - Monsieur, de grâce, Passez, après vous. " Les journaux se lisent, Les liqueurs s'épuisent, Les jeux s'organisent, Et l'habitué, Le nez sur sa canne Approuve ou chicane, Défend ou condamne Chaque coup joué. La tragédie, La comédie, La parodie, Les escamoteurs, Tout, jusqu'au drame Et mélodrame, Attend, réclame L'or des amateurs. Les quinquets fourmillent, Les lustres scintillent, Les magasins brillent, Et, l'air agaçant, La jeune marchande Provoque, afriande, Et, de l'oeil, commande L'emplette aux passants. Des gens sans nombre D'un lieu plus sombre Vont chercher l'ombre Chère à leurs desseins : L'époux convole, Le fripon vole, Et l'amant vole A d'autres larcins. Jeannot, Claude, Blaise, Nicolas, Nicaise, Tous cinq de Falaise Récemment sortis, Relevant la face Et cloués sur place Devant un paillasse S'amusent gratis. La jeune fille, Quittant son aiguille, Rejoint son drille Au bal de Lucquet ; Et sa grand' mère Chez la commère Va coudre et faire Son cent de piquet. Dix heures sonnées, Des pièces données Trois sont condamnées Et se laissent choir ; Les spectateurs sortent, Se poussent, se portent, Heureux s'ils emportent Et montre et mouchoir ! " Saint jean Laflèche, Qu'on se dépêche ! Notre calèche ! Mon cabriolet ! " Et la livrée, Quoiqu'enivrée, Plus altérée Sort du cabaret. Les carrosses viennent, S'ouvrent et reprennent Leurs maîtres qu'ils mènent En se succédant, Et, d'une voix âcre, Le cocher de fiacre Peste, jure et sacre En rétrogradant. Quel tintamarre ! Quelle bagarre, Aux cris de : Gare ! Cent fois répétés ! Vite, on traverse, On se renverse, On se disperse De tous les côtés. La soeur perd son frère, La fille, son père, Le garçon, sa mère, Qui perd son mari ! Mais un galant passe, S'avance avec grâce S'offrant à la place De l'époux chéri. Plus loin, des belles Fort peu rebelles, Par ribambelles Errant à l'écart, Ont doux visage, Gentil corsage ; Mais je suis sage ; D'ailleurs, il est tard. Faute de pratique, On ferme boutique, Quel contraste unique Bientôt m'est offert ! Ces places courues, Ces brillantes rues, Muettes et nues, Sont un noir désert. Une figure De triste augure M'approche et jure En me regardant. Un long " Qui vive " De loin m'arrive, Et je m'esquive De peur d'accident. Par longs intervalles, Quelques lampes pâles, Faibles, inégales, M'éclairent encor... Leur feu m'abandonne, L'ombre m'environne... Le vent seul résonne... Silence !... tout dort.
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