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Marcel Aymé, La Vouivre.

Extrait du document

Marcel Aymé, La Vouivre. Par un scrupule de conscience, il eut un mouvement paresseux pour s'emparer du diadème et il l'eût fait assurément si la menace d'une vipère lui était apparue. Sans doute les serpents jouaient-ils le jeu, attendant, pour lui donner la chasse, que le larcin fût effectif, car il n'en vit aucun, et nul frémissement n'agita l'herbe autour de lui. Au lieu de se poser sur le rubis, sa main, ayant effleuré la robe de lin blanc, s'y attarda. Le toucher de ce tissu léger, un peu rêche, qui avait encore la tiédeur de la vie, le fit renoncer au dessein qu'il avait formé à contrecœur. Il eut la tentation de poser son visage sur la robe et d'en respirer l'odeur, mais la timidité le retint. Sur l'étang, la Vouivre avait rebroussé chemin et nageait la grande brasse, mais en enfonçant ses mains dans l'eau avec un bruit de claque, sec et sonore, et sans faire jaillir une goutte d'eau. Sans plus songer au rubis, Arsène se redressa pour mieux voir le visage dont les traits se précisaient à chaque brasse. Au mouvement qui lui inclinait la tête sur son épaule bronzée, le profil de la Vouivre se dessinait contre le soleil dans une frange de lumière dorée. Les claques sonnaient avec un bruit clair et l'écho les répétait, mais assourdies, lointaines, comme des coups de hache venus des profondeurs des bois. A quelque cent mètres du bord, elle cessa de nager, et se retournant sur le dos, les mains jointes sous la nuque, les seins pointant hors de l'eau, se laissa flotter sur l'étang. Peut-être voulait-elle donner au garçon le temps de courir sa chance. Il pensa aussi que la présence d'un homme pouvait la contrarier. Comme il balançait à se retirer, elle se remit à nager et prit pied avant qu'il se fût décidé. Leurs regards s'étant rencontrés, il baissa les yeux et se sentit gêné d'être là, debout sur le bord, dans une attitude qui devait paraître délibérément indiscrète, mais il ne put se résoudre à vider les lieux et prit le parti de s'allonger à trois pas de la robe, dans une position qu'il estima plus effacée. La Vouivre, jaillie tout entière dans le soleil, s'était arrêtée devant l'embouchure du ruisseau qui avait déposé à cet endroit un lit de menus graviers. Ses pieds jouaient dans l'eau vive et, d'une détente brusque, effleurant la surface à contre-courant, faisaient bondir des gouttes limpides qui venaient rouler sur ses jambes. Arsène, étonné par la splendeur de son corps, n'éprouvait aucune gêne à le contempler. Il y voyait ce qu'il n'avait guère soupçonné jusqu'alors dans la créature humaine et qu'il savait pourtant admirer chez un beau cheval : une noblesse, une harmonieuse liberté et économie des lignes, qui lui procuraient une sensation d'allégement. Elle s'allongea dans le courant pour laver son corps de l'eau froide de l'étang et, s'étant ensuite aspergé le visage à deux mains, elle prit pied sur le rivage. Là, sous le regard de l'homme qui était couché dans son ombre et sans plus faire attention à lui que s'il eût été un animal, elle se mit à tourner lentement dans le soleil, les mains à la nuque et les yeux clos. Cette indifférence injurieuse fit lever en lui une colère de mâle et il s'efforça d'être grossier, ce qui lui arrivait rarement. "Détourne tes fesses de là, dit-il. Tu me prends mon soleil."

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