Marguerite de Navarre, L'Heptaméron, soixante-cinquième nouvelle, 1559
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Marguerite de Navarre, L'Heptaméron, soixante-cinquième nouvelle, 1559
En l'église Saint-Jean de Lyon, y a une chapelle fort obscure, et, dedans, un Sépulcre fait de pierre à grands personnages élevés, comme le vif2; et sont à l'entour du sépulcre plusieurs hommes d'armes couchez. Un jour, un soudard3 se promenant dans l'église, au temps d'été qui fait grand chaud, lui prit envie de dormir. Et, regardant cette chapelle obscure et fraîche, pensa d'aller garder le Sépulcre, en dormant comme les autres, auprès desquels il se coucha. Or advint-il que une bonne vieille fort dévote arriva au plus fort de son sommeil, et, après qu'elle eut dit ses dévotions4, tenant une chandelle ardente en sa main, la voulut attacher au Sépulcre. Et, trouvant le plus près d'icelui cet homme endormi, la lui voulut mettre au front, pensant qu'il fut de pierre. Mais la cire ne peut tenir contre la pierre; la bonne dame, qui pensait que ce fût à cause de la froidure de l'image5, lui va mettre le feu contre le front, pour y faire tenir sa bougie. Mais l'image, qui n'était insensible, commença à crier; dont la bonne femme eut si grand peur, que, comme toute hors du sens6, se prit à crier miracle, tant que tous ceux qui étaient dedans l'église coururent, les uns à sonner les cloches, les autres à voir le miracle. Et la bonne femme les mena voir l'image qui était remuée; qui donna occasion à plusieurs de rire, mais les plusieurs ne s'en pouvaient contenter7, car ils avoient bien délibéré8 de faire valoir ce Sépulcre et en tirer autant d'argent que du crucifix qui est sur leur pupitre9, lequel on dit avoir parlé; mais la comédie prit fin pour la connaissance10 de la sottise d'une femme.
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