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Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique.

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Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique. Ce fut donc pour la dernière fois, ce soir-là, que vers cinq heures de l'après-midi, le bruit rêche de la carriole de Joseph se fit entendre au loin sur la piste, du côté de Ram. La mère hocha la tête. - C'est tôt, il n'a pas dû avoir beaucoup de monde. Bientôt on entendit des claquements de fouet et les cris de Joseph, et la carriole apparut sur la piste. Joseph était à l'avant. Sur le siège arrière il y avait deux Malaises. Le cheval allait très lentement, il raclait la piste de ses pattes plutôt qu'il ne marchait. Joseph le fouettait mais il aurait pu aussi bien fouetter la piste, elle n'aurait pas été plus insensible. Joseph s'arrêta à la hauteur du bungalow. Les femmes descendirent et continuèrent leur chemin à pied vers Kam. Joseph sauta de la carriole, prit le cheval par la bride, quitta la piste et tourna dans le petit chemin qui menait au bungalow. La mère l'attendait sur le terre-plein, devant la véranda. - Il n'avance plus du tout, dit Joseph. Suzanne était assise sous le bungalow, le dos contre un pilotis. Elle se leva et s'approcha du terre-plein, sans toutefois sortir de l'ombre. Joseph commença à dételer le cheval. Il avait très chaud et des gouttes de sueur descendaient de dessous son casque sur ses joues. Une fois qu'il eut dételé, il s'écarta un peu du cheval et se mit à l'examiner. C'était la semaine précédente qu'il avait eu l'idée de ce service de transport pour essayer de gagner un peu d'argent. Il avait acheté le tout, cheval, carriole et harnachement, pour deux cents francs. Mais le cheval était bien plus vieux qu'on n'aurait cru. […] La veille, Joseph lui avait apporté du pain de riz et quelques morceaux de sucre pour essayer de lui ouvrir l'appétit, mais après les avoir flairés il était retourné à la contemplation extatique des jeunes semis de riz. Sans doute, de toute son existence passée à traîner des billes de loupe de la forêt jusqu'à la plaine, n'avait-il jamais mangé autre chose que l'herbe desséchée et jaunie des terrains défrichés et, au point où il en était, n'avait-il plus le goût d'autre nourriture. Joseph allait vers lui et lui caressait le col. - Mange, gueulait Joseph, mange. […] La mère à son tour s'approcha. Elle était pieds nus et portait un grand chapeau de paille qui lui arrivait à hauteur des sourcils. […] - Je t'avais dit de ne pas l'acheter. Deux cents francs pour ce cheval à moitié crevé et cette carriole qui ne tient pas debout. - Si tu ne la fermes pas je fous le camp, dit Joseph.

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