Marivaux, L'Île des esclaves, scène 4.
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Marivaux, L'Île des esclaves, scène 4.
Scène IV : Trivelin, Euphrosine.
TRIVELIN : Cette scène-ci vous a un peu fatiguée ; mais cela ne vous nuira pas.
EUPHROSINE : Vous êtes des barbares.
TRIVELIN : Nous sommes d'honnêtes gens qui vous instruisons ; voilà tout. Il vous reste encore à satisfaire à une formalité.
EUPHROSINE : Encore des formalités !
TRIVELIN : Celle-ci est moins que rien ; je dois faire rapport de tout ce que je viens d'entendre, et de tout ce que vous m'allez répondre. Convenez-vous de tous les sentiments coquets, de toutes les singeries d'amour-propre qu'elle vient de vous attribuer ?
EUPHROSINE : Moi, j'en conviendrais ! Quoi ! de pareilles faussetés sont-elles croyables !
TRIVELIN : Oh ! très croyables, prenez-y garde. Si vous en convenez, cela contribuera à rendre votre condition meilleure ; je ne vous en dis pas davantage... On espèrera que, vous étant reconnue, vous abjurerez un jour toutes ces folies qui font qu'on n'aime que soi, et qui ont distrait votre bon coeur d'une infinité d'attentions plus louables. Si au contraire vous ne convenez pas de ce qu'elle a dit, on vous regardera comme incorrigible, et cela reculera votre délivrance. Voyez, consultez-vous.
EUPHROSINE : Ma délivrance ! Eh ! puis-je l'espérer ?
TRIVELIN : Oui, je vous la garantis aux conditions que je vous dis.
EUPHROSINE : Bientôt ?
TRIVELIN : Sans doute.
EUPHROSINE : Monsieur, faites donc comme si j'étais convenue de tout.
TRIVELIN : Quoi ! vous me conseillez de mentir !
EUPHROSINE : En vérité, voilà d'étranges conditions ! cela révolte !
TRIVELIN : Elles humilient un peu ; mais cela est fort bon. Déterminez-vous ; une liberté très prochaine est le prix de la vérité. Allons, ne ressemblez-vous pas au portrait qu'on a fait ?
EUPHROSINE : Mais...
TRIVELIN : Quoi ?
EUPHROSINE : Il y a du vrai, par-ci, par-là.
TRIVELIN : Par-ci, par-là, n'est point notre compte ; avouez-vous tous les faits ? en a-t-elle trop dit ? n'a-t-elle dit que ce qu'il faut ? Hâtez-vous ; j'ai autre chose à faire.
EUPHROSINE : Vous faut-il une réponse si exacte ?
TRIVELIN : Eh ! oui, Madame, et le tout pour votre bien.
EUPHROSINE : Eh bien...
TRIVELIN : Après ?
EUPHROSINE : Je suis jeune...
TRIVELIN : Je ne vous demande pas votre âge.
EUPHROSINE : On est d'un certain rang ; on aime à plaire.
TRIVELIN : Et c'est ce qui fait que le portrait vous ressemble.
EUPHROSINE : Je crois qu'oui.
TRIVELIN : Eh ! voilà ce qu'il nous fallait. Vous trouvez aussi le portrait un peu risible, n'est-ce pas ?
EUPHROSINE : Il faut bien l'avouer.
TRIVELIN : A merveilles ! Je suis content, ma chère dame. Allez rejoindre Cléanthis : je lui rends déjà son véritable nom, pour vous donner encore des gages de ma parole. Ne vous impatientez point ; montrez un peu de docilité, et le moment espéré arrivera.
EUPHROSINE : Je m'en fie à vous.
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