Maurice BARRÈS, N'importe où hors du monde, 1958
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Maurice BARRÈS, N'importe où hors du monde, 1958
Je me rappelle qu'un jour de fête patronale au village, vers la fin de l'après-midi, j'étais entré au cimetière. Les valses d'un bal public venaient se perdre sur les tombes. Le contraste de ces joies bruyantes avec ces tertres silencieux, je puis le noter en quelques mots, mais nuls mots ne sauraient épuiser les sentiments indéterminés, la rumeur éveillée en moi par cet impuissant appel au plaisir. Il me semblait que deux, trois idées, du fond des âges, venaient battre mon coeur, fastidieusement répétées comme ces deux, trois accents, sur lesquels se balançaient les pauvres danseurs. C'étaient des interrogations, toujours les mêmes, toujours sans réponse et que les morts seuls auraient pu satisfaire. Ces thèmes, ces motifs monotones, au milieu de la fête bruyante m'enveloppaient de solitude. Ô morts qui vous taisez, n'importe ! En dépit de votre silence, demain matin, avec vous tous, j'irai à l'église pour votre messe. On est si bien sous la plainte éternelle des chants latins !
C'est en effet la coutume, dans nos villages lorrains, de célébrer à la paroisse, le lendemain de la fête, un service pour les défunts. Ne leur doit-on pas cet hommage après que l'on vient de festoyer, de jouir de la vie et du bien-être qu'ils ont préparés ? Qui voudrait manquer à ce rendez-vous annuel, quand la cloche commence de dire : Defunctos ploro ? Chacun s'y retrouve avec ceux qu'il a perdus. Et plusieurs fois (je tiens ce récit de leur bouche) de braves gens qui s'étaient attardés aux réjouissances du soir ont vu, en rentrant chez eux, les morts s'acheminer nuitamment vers l'église.
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