Montaigne écrit, dans le livre II de ses Essais : « Je n'ai pas plus fait mon livre que mon livre ne m'a fait. » Pensez-vous que l'on puisse définir ainsi toute entreprise autobiographique ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet et problématisation
Ce sujet invite à réfléchir sur la définition de l'autobiographie que donne Montaigne et à la discuter.
Cette
définition, construite sur un chiasme, montre que l'entreprise autobiographique est une construction de soi : en
écrivant son livre, l'autobiographe approfondit sa connaissance de soi et construit sa personnalité.
Il y a un effet
rétroactif de l'écriture autobiographique sur l'autobiographe.
Mais en disant que son livre l' « a fait » Montaigne montre aussi que cette construction de soi que permet
l'entreprise autobiographique peut avoir quelque chose de factice : le livre fabrique en quelque sorte
l'autobiographe, le terme fabriquer pouvant signifier un manque d'authenticité.
Il faudra tenir compte de cet aspect
du sujet.
Tentons de définir préalablement le genre autobiographique : Dans Le Pacte autobiographique, Philippe
Lejeune le définit comme un « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence,
lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité.» Ainsi cette définition
lie-t-elle d'emblée l'autobiographie un travail d'introspection pour se connaître soi-même, à partir des choses que
l'on a vécues.
Il faut aussi noter, dans ce sujet, l'importance du déterminant « toute » qui invite à montrer que certaines
entreprises autobiographiques ne correspondent pas à la définition qu'en donne Montaigne.
Problématique : L'écriture autobiographique est-elle nécessairement une entreprise de construction de soi ?
Ce sujet met finalement en jeu les fins de l'écriture autobiographique.
I)
L'écriture autobiographique se présente souvent comme une entreprise de
construction de soi
- En écrivant son autobiographie, l'auteur reconstruit son passé, et ce-faisant construit sa personnalité.
L'autobiographie est une construction rétrospective qui forcément privilégie l'unification de la personne.
Elle a pour
but de construire une image cohérente et englobante.
L'autobiographie est une construction de soi car elle aide à
se connaître soi-même.
Le ressort de la démarche Montaigne dans Les Essais est d'ailleurs le « connais-toi toimême » socratique.
Comment l'écriture autobiographique mène-t-elle à une construction de soi ?
- C'est la mise à distance de soi par l'écriture qui permet à l'autobiographe de se « faire », de se construire
dans et par son autobiographie.
L'autobiographe ne fait pas que restituer des souvenirs sur une page blanche, mais
procède à une analyse rétrospective lui permettant de retracer la genèse de sa personnalité : ce moment de
l'analyse, important dans toute entreprise autobiographique participe à la construction du « moi » de
l'autobiographe.
Cette analyse est certes très présente chez Montaigne, mais aussi chez Stendhal dans la Vie de
Henri Brulard.
Par les thèmes abordés Stendhal semble pratiquer une véritable psychanalyse (amour incestueux de la
mère, haine « oedipienne » du père, dont le portrait que l'auteur trace fait une incarnation de l'autorité).
Mais
surtout par l'idée que c'est l'enfance qui explique tout, Stendhal peut apparaître comme un Freud avant la lettre
-La distance temporelle entre le temps vécu de l'événement raconté et le temps de l'énonciation est aussi
indispensable à la vertu constructive de l'entreprise autobiographique.
Il s'agit dans un premier temps de se
construire en tâchant de reconstruire sa vie, soit d'une manière chronologique par un effort difficile de mémorisation
ou par la collecte de témoignages ( ex : Histoire de ma vie de George Sand) , soit en s'attachant à choisir, dans le
flux de souvenirs quelques évènements marquant sans chercher à les chronologiser :
Ex : l'écriture fragmentaire qui est au principe des essais de Montaigne ;
l'entreprise Gidienne dans Si Le grain de meurt :
J'écrirai mes souvenirs comme ils viennent, sans chercher à les ordonner.
Tout au plus
les puis-je grouper autour des lieux et des êtres ; ma mémoire ne se trompe pas souvent de
place ; mais elle brouille les dates; je suis perdu si je m'astreins à de la chronologie.
II) Nécessité de trouver une forme de langage par lequel on puisse se dire et se construire : cette
forme est souvent spécifique à chaque écrivain
- L'écriture fragmentaire de l'essai est un véritable travail formel sur le langage qui permet à l'auteur de
s'analyser et donc de se construire plus facilement, sans tomber dans les pièges du simple récit rétrospectif et
chronologique qui peut aboutir parfois à une pure et simple énumération de faits sans distance critique.
(ex : Les
Essais de Montaigne ).
- Autre type d'écriture fragmentaire : le Je me souviens de Pérec, recueil de bribes de souvenirs rassemblés
entre janvier 1973 et juin 1977, ce sont selon ses dires des :
petits morceaux de quotidien, des choses que, telle ou telle année, tous les gens d'un
même âge ont vues, ont vécues, ont partagées, et qui ensuite ont disparu, ont été
oubliées ; elles ne valaient pas la peine de faire partie de l'Histoire, ni de figurer dans les
Mémoires des hommes d'État, des alpinistes et des monstres sacrés.
Il arrive cependant
qu'elles reviennent, quelques années plus tard, intactes et minuscules, par hasard ou parce.
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