Montaigne, Essais - Livre I, chapitre 26
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Montaigne, Essais - Livre I, chapitre 26
Je n'ai dressé commerce avec aucun livre solide, sinon Plutarque et Sénèque, où je puisse comme les Danaïdes, remplissant et versant sans cesse. J'en attache quelque chose à ce papier ; à moi, si peu que rien.
L'Histoire, c'est plus mon gibier, ou la poésie, que j'aime d'une particulière inclination. Car, comme disait Cléanthe, tout ainsi que la voix, contrainte dans l'étroit canal d'une trompette, sort plus aiguë et plus forte, ainsi me semble-t-il que la sentence, prestée aux pieds nombreux de la poésie, s'élance bien plus brusquement et me faire d'une plus vive secousse. Quant aux facultés naturelles qui sont en moi, de quoi c'est ici l'essai, je les sens Fléchir sous la charge. Mes conceptions et mon jugement ne marchent qu'à tâtons, chancelant, bronchant et choppant ; et quand je suis allé le plus avant que je puis si ne me suis-je aucunement satisfait ; je vois encore du pays au-delà, mais d'une vue trouble et en nuage, que je ne puis démêler. Et, entreprenant de parler indifféremment de tout ce qui se présente à ma fantaisie et n'y employant que mes propres et naturels moyens, s'il m'advient, comme il fait souvent, de rencontrer de fortune dans les bons auteurs ces mêmes lieux que j'ai entrepris de traiter, comme je viens de faire chez Plutarque tout présentement son discours de la force de l'imagination, à me reconnaître, au prix de ces gens-là, si faible et si chétif, si pesant et si endormi, je me fais pitié ou dédain à moi-même. Si me gratifié-je de ceci, que mes opinions ont cet honneur de rencontrer souvent aux leurs ; et que je vais au moins de loin après, disant que voire. Aussi que cela, qu'un chacun n'a pas, de connaître l'extrême d'entre eux et moi.
Et laisse, ce néanmoins, mes inventions ainsi faibles et basses, comme je ai produites, sans en replâtrer et recoudre les défauts cette comparaison m'y a découverts.
Il faut avoir reins bien fermes pour entreprendre de marcher à front avec ces gens là. Les écrivains indiscrets notre siècle, qui, parmi leurs ouvrages de néant, vont des lieux entiers des anciens auteurs pour cet honneur, font le contraire. Car cette infinie descente illustre, et rend un visage si pâle, si terni et laid à ce qui est leur, qu'ils y perdent beaucoup plus qu'ils n'y gagnent.
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