MONTAIGNE - Essais - Livre III, 2.
Extrait du document
«
Introduction
Comme tous les grands Essais de MONTAIGNE, l'essai «Du repentir » (III, 2) contient certains développements dont le rapport avec le
titre échappe.
Cependant, sous la plupart de ces digressions, le moi de l'écrivain est devenu, dans ce livre III, beaucoup plus présent.
On
sait, par exemple, que MONTAIGNE n'a écrit « Du repentir » (vers 1584-1586) qu'après avoir été haut magistrat, diplomate et maire de
Bordeaux.
Retiré au château de Montaigne, il nous découvre, dans une page de cet essai, ce qu'il pense de ces deux types de vie si
différents.
Esquisse d'un développement
I.
La fausseté de l'éclat extérieur
Évocation des vies « publiques ».
MONTAIGNE en donne trois exemples : la direction des guerres (gaigner une bresche, qui
permettra de prendre une ville), la diplomatie ( conduire une ambassade), la politique (régir un peuple).
Ces hauts personnages en imposent par leurs vêtements somptueux (la robbe), le cortège qu'on leur fait (reconvoye).
De là
l'estonnement du peuple, frappé par cette élévation (cf.
l'expression : les grands), ces signes extérieurs (cette brave apparence), cet
éclat ( la lueur de nos actions publiques).
Exemples.
Grâce à son immense culture, MONTAIGNE peut en citer plusieurs : Alexandre, qui savait subjuguer le monde, et Tamburlan.
C'est à propos de ce dernier que l'écrivain va développer l'un des thèmes mineurs de cette page : le pouvoir de l'imagination.
Quand
nous redoutons des êtres que nous ne connaissons pas, nous les imaginons sous des formes fantastiques : agresseurs mystérieux,
démons représentés dans les cathédrales (le xvie siècle croit fermement à leur existence et nombreux sont les procès de sorcellerie).
De
façon plus générale, notre imagination se laisse impressionner par toutes les réputations et tous les spectacles (cf.
PASCAL).
Après les
conquérants, MONTAIGNE cite un grand humaniste et reconnaît qu'il l'avait naïvement divinisé.
Image du théâtre : Il laisse avec sa robbe ce rolle : le comédien se retrouve seul dans sa loge, devant sa glace; La vertu d'Alexandre...
représente...
en son théâtre...
Socrates en la place d'Alexandre (nouvelle distribution de la pièce!).
Cette image est traditionnelle depuis
les stoïciens.
Mais en voici une qui est originale.
Image des eaux brillantes : « filets et pointes d'eau fine rejaillies » au-dehors.
Transition : Nos actions extérieures ne sont que gouttelettes et ruisselets scintillants, mais que dire des eaux intérieures ?
II.
La vérité de l'humaine condition
Le coeur humain est un cloaque, un fond au demeurant limonneux et poisant.
MONTAIGNE professe ici un pessimisme quasi pascalien
( Que le coeur de l'homme est creux et plein d'ordures!).
Mais PASCAL, oppose la vie secrète, personnelle, à la vie extérieure, visible.
Son prédécesseur adopte un clivage différent : au faste des hommes importants, il oppose non seulement l'état du coeur, mais les actions
communes, comme la vie familiale et les métiers courants (cf.
Péguy).
C'est à cela que s'appliquent ses antithèses : dedans-dehors,
grandeur-bassesse, obscurité-éclat; et aussi le bref parallèle qu'il institue entre Socrate et Alexandre.
On peut remarquer l'expression
d'un changement brutal, au début du texte (le sens est souligné par les allitérations en b, en p et en t).
Recherche de l' « ordre » intime.
Cette absence d'illusions ne conduit nullement MONTAIGNE au désespoir.
Ce constat de faiblesse
est nécessaire pour qu'on sache quoi exiger de l'homme : on lui demandera de mener l'humaine vie conformément à sa naturelle
condition : science bien plus générale, plus poisante et plus légitime que celle de la guerre ou des intrigues diplomatiques.
Il est difficile
de faire bien l'homme, de vivre en harmonie avec ses proches et avec soi-même, doucement et justement.
Il est remarquable que le
style de l'écrivain reflète si visiblement cet idéal de simplicité : pas de « grandes » phrases, pas d'emphase ni d'éclat! Mais une prose qui,
elle aussi, va doucement et justement.
Sentences.
Autour de son thème central, MONTAIGNE multiplie les sentences : Le pris de l'âme ne consiste pas à aller haut, mais
ordonnéement.
La plus courte façon d'arriver à la gloire, ce seroit faire par conscience ce que nous faisons pour la gloire (cf.
LA
ROCHEFOUCAULD).
Sa grandeur ne s'exerce pas en la grandeur, c'est en la médiocrité, etc.
Le moraliste fait appel à l'auteur de l'Éthique
à Nicomaque, ARISTOTE.
Comme ÉRASME, il est ici l'auteur d'Adages et d'Apophtegmes.
Rigueur inattendue.
Mêlées aux images et aux mots ou expressions qui font image, ces sentences assurent au texte sa densité.
Ici, le
fameux sourire de MONTAIGNE laisse deviner une énergie certaine.
Ordre...
vertu...
grandeur...
vigueur de la vertu...
constance...
actions
procédant de la seule conscience, exercitation...
difficulté...
devoirs âpres et tendus, etc.
: le retour de ces termes souligne le climat
stoïcien du passage, écrit pourtant fort tard.
L'épicurisme n'est présent qu'en sourdine (naturalisme, simplicité).
La nonchalance qu'on prête si généreusement à MONTAIGNE n'est donc pas si grande qu'on le croit.
Acquérir l'ordre, l'harmonie en soi et
dans les relations avec les proches, cela n'est pas l'effet d'un coup de baguette magique, mais le résultat fragile d'une exercitation basse
et obscure.
L'auteur des Essais parle en connaissance de cause.
Conclusion
Après avoir fait longuement l'expérience de la vie publique, MONTAIGNE n'a cessé de la considérer avec méfiance.
Il est sensible surtout
à sa fausseté, à son caractère de comédie.
Il voit en elle un alibi dont s'abusent les grands pour se dispenser d'être d'abord de simples
hommes, tâche autrement difficile que le siège d'une ville.
L'auteur des Essais exige ici de chaque homme une rigueur qui révèle à quel point le stoïcisme exprime une part de sa personnalité.
Son
attitude morale ne s'explique plus par une succession d'enthousiasmes (stoïcisme, scepticisme, épicurisme), mais elle consiste, au moins
dans ce livre III, en une alliance des trois grandes philosophies antiques.
Sous un épicurisme élevé, un certain stoïcisme est demeuré
vivace..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Montaigne, "Essais", "Des coches", Livre III, Chapitre 6 : "Notre monde vient d'en trouver un autre…"
- Montaigne, Les Essais, Livre III, chap. XI, 1586, « Des boiteux »
- Des boiteux (Montaigne, Les Essais, Livre III, chap. XI, 1586, 1965)
- Sujet : Dans le premier livre des Essais, Michel de Montaigne explique, que, pour se former, il faut « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui ». En quoi peut-on dire que l’humanisme, à la Renaissance, se caractérise par une ouverture à l’autre, une interrogation sur l’autre ?
- Montaigne, Essais - Livre I, chapitre 26