Montesquieu écrit dans la préface de l'esprit des Lois: j'ai d'abord examiné les hommes... Je n'ai pas tiré mes principes de mes préjugés, mais de la nature des choses. Les méthodes pratiquées par lui, des Lettres Persanes à l'esprit des Lois, vous semblent-elles correspondre à cette déclaration ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION
«J'ai d'abord examiné les hommes...
Je n'ai pas tiré mes principes de mes préjugés, mais de la nature des choses ».
Ces phrases de la préface de L'Esprit des lois contiennent une déclaration d'intention et un bilan de réussite.
Elles
invitent à se poser une double question : est-ce bien là ce que Montesquieu a voulu faire ? L'a-t-il fait assez bien
pour mériter le «satisfecit» qu'il se décerne ?
I.
INTENTIONS DE MONTESQUIEU
Déjouer les préjugés Que Montesquieu ait été comme la plupart des philosophes de son temps en méfiance délibérée
à l'égard des idées reçues, la conception même des Lettres persanes et de L'Esprit des lois en est la preuve.
Faire décrire nos mœurs par deux voyageurs asiatiques, c'était imposer de les voir d'un œil neuf, et d'y démêler les
bizarreries et les absurdités que l'usage nous empêche de discerner.
Montesquieu dénonce ainsi le chauvinisme des
Français, les caprices de la mode, l'intolérance des églises ou la mesquinerie des coteries littéraires.
Dans L'Esprit des lois sont confrontées de mille façons les institutions de diverses nations et de diverses époques.
Aucune n'est écartée a priori, toutes méritent qu'on cherche à les comprendre : « J'ai cru que, dans cette infinie
diversité des lois et des mœurs, [les hommes] n'étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies.
» Dans cette
perspective, quel peuple, quelle classe pourraient prétendre détenir la vérité politique universelle ? Il y a autant de
vérités que de situations, et les lois « doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que
c'est un très grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre ».
Tout préjugé doit donc s'effacer
devant l'étude des conditions de fait.
Enfin beaucoup de passages piquants, dans L'Esprit des lois, procèdent de l'habitude que Montesquieu a conservée
depuis les Lettres persanes de discréditer les points de vue exclusifs en les juxtaposant à d'autres : il en usait ainsi
dans la 46e lettre, à l'égard des observances religieuses ; dans un des célèbres chapitres sur l'esclavage, pour
ruiner le préjugé racial, il feint de l'étayer par d'autres opinions bien établies, qui ne sont elles-mêmes que préjugés :
« on peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux qui, chez les Égyptiens...
étaient d'une si grande
conséquence qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux...
» « Une preuve que les nègres n'ont pas le sens
commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si
grande conséquence.
»
Ces habitudes de plume et de pensée ne permettent pas d'affirmer que Montesquieu ait réellement fait taire tout
préjugé.
Du moins s'y est-il efforcé.
Dira-t-on que cette méfiance est à son tour une sorte de préjugé, une forme
retournée de cette « prévention » que condamnait Descartes ? Montesquieu répond d'avance dans sa préface : il
n'a pas « l'esprit désapprobateur » ; quand il se dresse contre une tradition, c'est que les faits l'y obligent : il a «
examiné les hommes », il a réfléchi sur la « nature des choses ».
Examiner les hommes Que Montesquieu ait d'abord examiné les hommes, cela peut se constater à plusieurs niveaux.
Homme du monde, il regarde et écoute, et ce sont les Lettres persanes.
Liseur, il accumule la documentation qui
s'étale dans les Considérations et L'Esprit des lois.
Voyageur, il essaye de sonder l'esprit des nations et de voir les
institutions du point de vue de l'usager.
Cet «examen » est plus qu'une simple observation.
Montesquieu essaye de pénétrer jusqu'aux «ressorts» des
conduites humaines.
En cela il continue la tradition des moralistes, de Montaigne à La Bruyère ; mais plus qu'eux il
discerne des traits psychologiques essentiels à la vie de tel groupe, à la marche de telle institution.
Les deux
Persans observent les armées asiatiques et françaises, les unes acculées à ce qu'on a appelé depuis la « fuite en
avant », les autres attirées par la gloire, et ils voient là la clef de deux systèmes politiques.
Ailleurs ils discernent
sous l'agitation frivole le moteur essentiel des sociétés occidentales : « l'intérêt est le plus grand monarque...
cette
passion de s'enrichir passe de condition en condition...
».
Ailleurs encore ils montrent comment la concurrence des
sectes stimule leur perfectionnement moral.
Même effort de pénétration dans le passage célèbre des Considérations
sur le bienfait des divisions partisanes, dans ceux de L'Esprit des lois sur la vertu démocratique et sa corruption, ou
sur le sentiment de sécurité qu'on éprouve dans une monarchie bien réglée.
Saisir la nature des choses C'est bien là scruter la nature des choses.
Mais pour la saisir il est une méthode plus
sûre que Montesquieu emprunte aux sciences expérimentales : la comparaison.
Le célèbre chapitre sur le climat
l'applique systématiquement : attitudes comparées des Anglais et des Italiens à l'opéra, succès comparé des armées
combattant ou non sous leur climat, sensibilité comparée, courage comparé des peuples de différentes latitudes :
ces confrontations diverses conduisent à l'élaboration d'une loi.
C'est aussi par une étude de variations
concomitantes que Montesquieu établit le rôle de la vertu dans la conservation des démocraties.
Déjà dans sa 89e
Lettre Persane, il procédait de cette façon pour établir la formule : « le désir de la gloire croît avec la liberté des
sujets et diminue avec elle ».
Cette structure expérimentale se retrouve jusque dans la lettre apparemment frivole
que termine le célèbre mot « Comment peut-on être Persan ? ».
Constatation initiale : « Paris m'admire ».
Étonnement : «je ne me serais jamais imaginé...
» Suppression d'une condition : « Cela me fit résoudre à quitter
l'habit de Persan ».
Disparition immédiate de l'effet : « J'entrai tout à coup dans un néant »...
Rétablissement de la
condition et retour immédiat de l'effet : «j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement...
» Montesquieu ne
nous laisse que le soin de formuler la loi : l'habit est la condition nécessaire et suffisante du succès.
C'est par de telles méthodes que Montesquieu s'efforce, à partir de l'examen des hommes, de toucher la « nature
des choses » et d'en tirer des « principes ».
Qu'il s'y soit efforcé scrupuleusement, la lenteur même de sa recherche
semble le prouver : « Je suivais mon objet sans former de dessein, écrit-il dans la Préface de L'Esprit des Lois; je ne
connaissais ni les règles ni les exceptions ; je ne trouvais la vérité que pour la perdre ».
Mais n'a-t-il pas cédé à la
tentation, bien naturelle après ces longs efforts, de proclamer un peu haut sa victoire ?.
»
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