Nicolas DENISOT (1515-1559) - Cantique
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Nicolas DENISOT (1515-1559) - Cantique Ici, je ne bâtis pas D'une main industrieuse, A la ligne et au compas, Une maison somptueuse. Ici, je ne veux chanter L'orgueil de quelque édifice, Ni l'ouvrage retenter D'un ancien frontispice. Autre que moi, mieux appris En cette magnificence, Chante l'honneur et le prix Et la superbe excellence. D'un palais audacieux Qui lève si haut la tête, Qu'il la cache dans les cieux Pour voisiner la tempête. Et de son heureuse main Fasse quelque forme antique, Ou quelque antique dessin Corinthien ou dorique. Rome a bien eu des sonneurs Qui ont chanté les louanges Des princes et grands seigneurs, Jusques aux terres étranges. Et si a bien eu cet heur D'avoir le marbre et le cuivre, Pour lui redoubler l'honneur Qui l'a fait doublement vivre. Entre les trésors ouverts De cette machine ronde, N'avez-vous en l'univers Les sept miracles du monde ? La Grèce n'a pas laissé Tomber ses cariatides, Ni l'Égypte rabaissé L'orgueil de ses pyramides. Le sépulcre Carien Vit Encor en la mémoire ; L'amphithéâtre ancien Jamais ne taira sa gloire. Mille et mille bâtiments, Mille et mille piliers ores, Et mille compartiments Se voient pourtraits encores. Tous les palais somptueux, La mémoire de nos princes, Malgré l'âge injurieux, Se voient en leurs provinces. Et pourtant qu'en pauvre lieu Notre Dieu ait voulu naître, Notre Père et notre Dieu, Notre bon seigneur et maître ; Faut-il taire sa grandeur, Faut-il taire sa clémence, Faut-il taire le bonheur, Le bonheur de sa naissance ? Faut-il taire l'ornement D'une loge mi-couverte A toute l'horreur du vent Et à la froidure ouverte ? Ô sainte et sainte maison ! Ô maison dignement sainte ! Ô bienheureuse saison, Qui a vu la Vierge enceinte ! Ici, je veux maçonner De ce bâtiment l'exemple, Et de mes vers façonner Le projet de ce beau temple. Çà la règle et le compas, Çà le papier et la plume, Muse, avant qu'on mette bas Le feu, qui nos coeurs allume. Venez faire le projet Avant qu'on laisse les armes ; Laissez là ce vain objet Qui ne cause que des larmes. C'est l'orgueilleux bâtiment Jà jà ruiné par terre, Qui n'eut jamais fondement, Ni de brique ni de pierre. Quatre fourches en carré, L'une sur l'autres penchantes, Sous un plancher bigarré, De tous côtés chancelantes, Étayent les quatre pipiers De ce si tant beau repaire, Où les anges à milliers Ont vu la Vierge être mère. Sur ces fourches tout en long Quatre perches à l'antique Désignaient le double front D'un double et double portique. Tout le plancher de roseaux Et de paille ramassée, De torchis et de tuileaux, D'herbe sèche entrelacée, Était tout entièrement Lambrissé en telle sorte, Qu'on eût dit facilement Le tout n'être qu'une porte. Les poutres et soliveaux Étaient petites perchettes, Plus pour nicher les oiseaux Que pour servir de logettes. L'entour était façonné D'une claie mi-rompue, Où le vent avait donné Tant, qu'il l'avait corrompue. Sur le dessus mi-passait L'herbe penchant de froidure, Qui ses cheveux hérissait, Teints encore de verdure. Quatre gaules de travers, Déjà sèches de vieillesse, Ouvertes de mille vers, Bout sur bout faisaient l'adresse. Pour élever tout autour Une bien mince clôture Qui eût remparé l'entour De cette pauvre ouverture. Mais tout était découvert, Le vent, la pluie et la grêle Trouvait toujours l'huis ouvert Pour s'y fourrer pêle-mêle. Le froid, l'humide et le chaud, L'éclair, l'horreur, le tonnerre, Bref, ce qui tombe d'en haut Sur les sillons de la terre, Pouvaient tomber en ce lieu, En ce lieu sans couverture Qui a vu l'enfant de Dieu Naître d'une créature. Mais Dieu qui demeure ès cieux Et qui gouverne et qui guide Tous les flambeaux radieux De la ceinture du vide, Tempéra le firmament Si bien, qu'il n'y eut planète, Étoile, ni élément Qui ne chérît la logette. Qui ne croit que le soleil Mi-tirant ses traits encore, Dedans son pourpre vermeil, De sa face qu'il redore, Encor qu'il fût rabaissé De l'hiver qui hérisonne, N'égalât le chaud passé Du beau printemps qu'il ordonne L'humeur guide de la nuit, L'ombre, le froid, le silence, N'étaient lors en plein minuit En leur première ordonnance ; Tout caressait cet enfant, Le ciel, la mer et la terre, Qui de l'enfer nous défend Et à la mort fait la guerre. Afin que rien n'offensât La chair encor tendrelette Et le froid ne transperçât La petite bandelette. Mais, Seigneur qui eût osé, Qui eût voulu entreprendre Sur toi qui as disposé Ce que toi seul peux comprendre ? Voilà le beau corps d'hôtel Et la maison somptueuse Où le grand Dieu immortel Est né de la Vierge heureuse. Tu te pourrais bien vanter Être la maison première Qui vois la Vierge enfanter De ce monde la lumière, Lumière qui nous conduit, Lumière qui tout efface, Lumière qui nous réduit Au droit sentier de sa grâce. Voyez donc l'enfantelet, Grand Seigneur de tout le monde, Qui suce et suce le lait D'une pucelle féconde ; Qui doit un jour de sa croix Faire une telle ouverture, Qui malgré tous les abois De l'infernale clôture, Brisera tous les efforts De cette bande orgueilleuse, Pour nos pères tirer hors D'une force merveilleuse. Voilà donc l'enfant qui doit Purger notre maléfice, Qui, devant Dieu, nous rendait Exempts de son bénéfice ; Donc Seigneur, brise l'effort Du péché qui nous surmonte, Par ta naissance et ta mort, Par la mort, qui la mort dompte.
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