« Nous autres, écrivains du xxe siècle, ne serons plus jamais seuls. Nous devons savoir au contraire que nous ne pouvons nous évader de la misère commune, et que notre seule justification, s'il en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire... Il n'y a pas pour l'artiste de bourreaux privilégiés... » A. CAMUS, Discours de Suède. La littérature a-t-elle attendu le XXe siècle pour lutter contre les bourreaux ? Vous avez lu des textes qui prouve
Extrait du document
«
« Nous autres, écrivains du XXe siècle, ne serons plus jamais seuls.
Nous devons savoir au contraire que nous ne
pouvons nous évader de la misère commune, et que notre seule justification, s'il en est une, est de parler, dans la
mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire...
Il n'y a pas pour l'artiste de bourreaux privilégiés...
» A.
CAMUS, Discours de Suède.
La littérature a-t-elle attendu le XXe siècle pour lutter contre les bourreaux ? Vous
avez lu des textes qui prouvent le contraire.
Parmi les écrivains que vous connaissez, quels sont ceux qui, à votre
avis, ont le mieux accompli la mission fixée par Camus ? Et pourquoi ?
Développement
Camus lui-même raconte qu'un sage oriental demandait à la divinité de lui épargner de « vivre une époque
intéressante », et constatait que, sans doute pas assez « sage », cette prière n'était pas exaucée en ce qui le
concernait.
Dans le vacarme — au sens multiple du terme — qui nous entoure, nous ne pouvons plus nous abstraire, nous tenir
à l'écart.
Le silence même, l'abstention, sont considérés comme une prise de position ; aussi l'artiste est-il, qu'il le
veuille ou non, « embarqué » — et le ternie correspond mieux à la réalité que « engagé ».
Embarqué sur la galère de
son temps.
Et on ne peut plus lui demander : « Que diable alliez-vous faire sur cette galère ? » Ce n'est pas lui qui a
demandé à y monter.
Il doit y prendre sa part de tourments, ramer à sa place, et, s'il survit, que ce soit pour «
créer ».
Mais si la nouveauté réside dans le fait que l'artiste est souvent embarqué malgré lui, il n'en est pas moins vrai que
le fait n'est pas « de notre temps ».
Et Camus lui-même reconnaît qu'il y a toujours eu le cirque et l'histoire du
martyr et du lion.
Mais, prétend-il, l'artiste jusqu'ici se tenait sur les gradins : « II chantait pour rien, pour lui-même,
ou, dans le meilleur des cas, pour encourager le martyr et distraire un peu le lion de son appétit.
»
L'histoire ne confirme pas cette opinion.
Les Nuées ont causé pas mal d'ennuis à Aristophane et l'empereur Auguste
a exilé Ovide.
Corneille a été contraint de mettre beaucoup d'eau dans son...
cidre de Normandie pour apaiser la
colère de Richelieu après sa tragédie-comédie du Cid et Voltaire à Ferney avait un pied en France et l'autre en
Suisse, à toutes "fins utiles.
Chénier a fini sur l'échafaud : il ne s'est pas contenté de rester « sur les gradins »
comme le dit Camus! et Chateaubriand a eu pas mal de démêlés avec le pouvoir.
Mais, avant le XXe siècle, l'exemple le plus marquant est celui de Victor Hugo, qui paye de dix-huit ans d'exil son
opposition à « Napoléon le Petit ».
Avec les Châtiments et Histoire d'un crime, il ne s'agit plus d'un « embarquement
» mais bien d'un « engagement », voulu et réfléchi, nettement déterminé.
Avant Camus et tous ceux de notre temps qui ont pris part courageusement à la lutte, Hugo a donc parlé « pour
ceux qui ne pouvaient le faire ».
Et comme ses moyens étaient grands, il a parlé d'un ton à la mesure de ses
moyens.
Il savait que rien de ce qu'il disait ou faisait ne passerait inaperçu ; il était conscient de sa.
»
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