On a défini Voltaire « un pessimiste gai » et Rousseau « un optimiste triste ». Qu'en pensez-vous ?
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«
On a défini Voltaire « un pessimiste gai » et Rousseau « un optimiste triste ».
Que vous en semble ?
Introduction :
a) Le parallèle Voltaire-Rousseau a été maintes fois tenté : « Siècle qui finit » — « siècle qui commence »; l'un « philosophe
» — l'autre philosophe contre les « philosophes » ; l'un surtout « penseur simpliste et réaliste », l'autre surtout « poète et
chimérique ».
b) Sera-t-on plus satisfait avec cette boutade : « Voltaire serait un pessimiste gai, et Rousseau un optimiste triste » ?
c) On pressent une apparence de vérité mais ne cache-t-elle pas
l'essentiel ?
I.
— Part de vrai :
Certes, grande part de vrai, si l'on oppose les deux premiers termes sur le terrain des idées, les deux seconds sur celui
des tempéraments.
A.
— Sur te terrain des idées :
a) Voltaire peut apparaître comme « pessimiste » si l'on se souvient :
• qu'il était parti d'un optimisme assez agressif (Le Mondain) et qu'il croyait — timidement, il est vrai — à la Providence
(voir la fin de Zadig);
• ensuite que les contrariétés sont venues : il a été trompé par Mme du Châtelet, il s'est brouillé avec Frédéric; son roi «
philosophe »; le tremblement de terre de Lisbonne, sa préparation minutieuse de l'Essai sur les Moeurs, les méfaits
multipliés du fanatisme dans le pays des « Welches » ont bouleversé son optimisme.
• On le voit alors répandre la thèse que le progrès est fort lent, parce que l'humanité n'est composée que de fripons et
d'imbéciles, qu'il ne peut y avoir de Providence et que l'optimisme même serait dangereux, puisqu'il risquerait de nous
décourager dans l'action (Candide).
b) Rousseau de son côté, est effectivement « optimiste » :
• puisqu'il part du principe que l'homme « naturel » a été autrefois, avant la constitution de la société en classes : "bon,
sain, libre, heureux".
(Discours sur l'Inégalité);
• et qu'on pourrait tout attendre de l'homme s'il est élevé selon « l'état de nature », comme en témoignent la Nouvelle
Héloïse, l'Émile, le Contrat Social, qui donnent au siècle tant de leçons d'héroïsme.
B.
— Sur le terrain des tempéraments :
a) Il est clair aussi que le pessimisme de Voltaire est mis dans un contexte gai, Voltaire aimant à rire avec le même esprit
persifleur qu'on rencontre chez tant de parisiens de notre littérature : Molière, Boileau, Beaumarchais.
b) Comme l'optimisme de Rousseau est mis dans un contexte triste étant donné la pente atrabilaire de l'auteur et sa
tendance à la « paranoïa ».
II.
— Part de discutable :
Mais cette opposition aussi tranchée ne nous masque-t-elle pas l'essentiel, du fait même de la complexité humaine.
A.
Pessimisme, optimisme sont des termes relatifs :
a) En fait, tous deux sont pessimistes pour le présent de l'Humanité, tous deux sont sensibles au triomphe du Mal,
particulièrement sous sa forme sociale.
Mais ils l'expliquent différemment :
• L'un dit qu'il n'y a pas assez de lumières et de civilisation.
• L'autre qu'il y en a trop !
b) Tous deux sont optimistes quand ils envisagent l'avenir, mais ils ne le voient pas de la même façon :
• Pour l'un, il sera très long à s'édifier et il s'édifiera selon les plus modestes voies (fin de Candide).
• Pour l'autre, il ne peut être que le fruit d'une purification (Contrat Social) qui engagerait l'Humanité dans des voies
radicalement nouvelles, sans qu'elle puisse toutefois prétendre revenir en arrière.
L'homme est libre de se consacrer à
cette tâche !
B.
— On observe le même curieux retournement si l'on examine à présent le prétendu antagonisme de leurs
tempéraments :
a) La gaieté de Voltaire n'est pas une gaieté saine, un défoulement à la manière de celle de Rabelais : « Hideux sourire »
dit de lui Musset; « il ricane » dit Marcel Arland; son rire est, en effet, un masque à son désarroi et comme une arme de
pénétration, forgée dans l'atmosphère frivole de la Régence et des Salons.
Il en donne le mécanisme dans l'article Esprit
de son Dictionnaire Portatif.
b) Au contraire, la disposition à la misanthropie de Rousseau, l'amour de la solitude par dégoût du présent, par dégoût de
l'action, le fait se réfugier dans ses chimères où, finalement, il trouve une consolation à tout, une acceptation sereine de
son sort.
Il en prend conscience lui-même et il écrit à Voltaire : « Vous êtes pessimiste, Monsieur, parce que rien ne vous a
manqué, et moi je suis optimiste parce que tout m'a manqué et que je suis habitué à me contenter de ce qui est ».
Conclusion :
Reconnaissons toutefois un mérite à l'opposition qui nous était donnée à discuter : tout en insistant sur la différence des
tons chez les deux écrivains (gai pour l'un, mélancolique pour l'autre), elle montre bien comment Voltaire, en insistant plus
volontiers sur les maux présents, peut paraître plus pessimiste, tandis que Rousseau, en magnifiant nos possibilités
idéales, semble plus optimiste..
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