On a dit que la vérité de Baudelaire était dans le conflit de son idéal et de son spleen dans ce drame de l'homme aux prises avec l'existence. Cela vous paraît-il être une définition suffisante de l'oeuvre baudelairienne ?
Extrait du document
«
Introduction
La première partie des Fleurs du Mal, intitulée « Spleen et idéal », constitue pour la critique littéraire l'outil de
compréhension principal de la sensibilité et de la pensée baudelairiennes.
Toutefois, à la question de savoir si ces
quatre-vingt cinq poèmes résument et contiennent l'ensemble des problématiques présentes dans l'œuvre de
Baudelaire, la réponse ne peut qu'être négative.
En effet, Cette oeuvre mêle écriture poétique, essai esthétiques,
articles de journaux, chroniques, récits de voyage, pièces de théâtre...
Le véritable enjeu de cette question est
donc de savoir si, à défaut d'une exploration exhaustive de l'univers baudelairien, le conflit entre spleen et idéal peut
offrir une structure fondamentale à partir de laquelle toute l'œuvre du poète tire son origine ou son modèle.
I, Spleen et Idéal
_Comment définir avec exactitude la nature du conflit entre spleen et idéal ? Le terme de « spleen », tiré de l'anglais
et de la théorie des humeurs, désigne une forme supérieure de la mélancolie, un dégoût profond de toute chose.
Chez Baudelaire, ce dégoût est solidaire de la conscience de la vieillesse, de la putréfaction lente, de la corruption
de toute chose aimée, et en premier lieu de la conscience du poète (« J'ai plus de souvenir que si j'avais mille
ans...
»).Ainsi exprimé, le spleen n'est pas l'antithèse de l'Idéal, mais sa déchéance et sa confrontation à
l'insuffisance de toute chose.
L'opposition à proprement parler ne se situe pas entre le désir idéal et la douleur de ne
pouvoir y atteindre, mais entre le monde sublime et la réalité concrète.
_Cette souffrance se fait dynamique dès lors qu'elle prend la puissance d'une accusation, adressée non pas contre
le monde trop imparfait, mais contre l'idéal lui-même.
La claudication de l'Albatros n'est pas dû à la bêtise des marins
qui le persécutent, mais à sa propre capacité à évoluer dans un univers azuré : « Exilé sur le sol au milieu des huées
/ Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
» C'est de sa beauté la plus précieuse que souffre le poète.
Le
problème du conflit entre spleen et Idéal se situe à la naissance de l'expression poétique, qu'elle interroge et remet
en question.
En ce sens, il agit effectivement dans la poésie baudelairienne à la manière d'une genèse.
II, Révolte et abandon
_Ainsi définit, l'idéal baudelairien apparaît comme essentiellement esthétique, plutôt que moral ou métaphysique.
Pourtant, il serait faux de faire de Baudelaire un athée, puisque le recueil est également construit à partir d'une
signification morale du conflit entre spleen et idéal.
L'argument du poète lors du procès des Fleurs du Mal avait été
le suivant : le mal qui se connaît vaut mieux que le mal qui s'ignore.
Dès son poème préliminaire « Au lecteur », le
recueil se présente à la manière d'une église inversée, c'est-à-dire un moyen de former une communauté des
pêcheurs (« - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! »).
_La pensée baudelairienne progresse de manière dialytique, c'est-à-dire en regroupant les divers phénomènes
perçus sous des pôles antithétiques : Articulation logique du recueil : six mouvements qui peuvent être ramenés à
trois couples : le monde supérieur contre le monde sensible (Spleen et Idéal et Tableaux Parisiens), la fuite de la
conscience contre la perception aïgue de la beauté du mal (Le vin et Fleurs du Mal), enfin la révolte contre
l'acceptation (Révolte et La Mort).
_Les trois poèmes de la courte section « Révolte » prennent la forme contradictoire d'une entrée en lutte contre
Dieu, développée sur l'exemple des saints chrétiens (« Le reniement de saint Pierre ») et sur le mode de la prière
(« Les litanies de satan »).
A cette rébellion s'oppose les poèmes de la mort, qui voient dans l'instant suprême un
apaisement général des contradictions qui avaient conduit la recherche poétique, expérience au sein de laquelle se
résorbe tout discours attaché à une définition du bien et du mal.
III, Souffrance et chant
_Le fond de l'entreprise baudelairienne n'est donc pas d'exprimer un conflit entre le réel et le parfait, mais
d'envisager, voire de rendre possible son dépassement.
Aussi y'a-t-il un sens à refuser une lecture littérale des
oppositions établies par Baudelaire, et à reconnaître, en même temps que la beauté du mal, une sainteté de la
révolte, sur le modèle de la lutte entre Jacob et l'ange, signifiant la nécessité d'un affrontement avec Dieu pour
accéder au divin.
La dernière tâche de Caïn est ainsi formulée : « Au ciel monte, et sur la terre jette Dieu ».
Le vers
est contradictoire si on fait rigoureusement correspondre le Ciel et Dieu.
Mais si « Dieu » n'est que l'image trop
humaine du sacré, le ciel est bien l'espace pur, le lieu du divin.
Même l'acte du damné aspire à son propre
dépassement, sa propre sublimation.
Le projet de Baudelaire n'est pas la révolte, il est l'affirmation d'une valeur de la
révolte, et par là même de la souffrance.
_L'exploration baudelairienne du mal doit donc être qualifiée d' « orphique » : le poète descend aux abîmes, et
rachète par son chant la corruption et la souffrance de la chair.
La chute du poème « A une charogne » est à ce
propos très claire : « J'ai gardé la forme et l'essence divine / De mes amours décomposées ».
L'approche esthétique
réconcilie matière et Idéalité, puisqu'elle utilise la première pour parvenir à la seconde.
De ce point de vue, le
procédé poétique par excellence est pour Baudelaire celui de la correspondance, à laquelle il consacre un sonnet, et
dont le but énoncé par ailleurs est de découvrir les préceptes qui permettent « l'infaillibilité de la production
poétique.
»
Conclusion
C'est dans le motif du voyage, infiniment décliné dans l'ensemble de son oeuvre, que Baudelaire atteint le plus
sûrement au rachat de la réalité quotidienne par le regard poétique.
En effet, la paysage vu pour la première fois
échappe à l'emprise du « monstre délicat » évoqué dans l'apostrophe, qui est l'ennui, et apparaît particulièrement
propre à inspirer le chant poétique, qui fait de l'auteur un être plus plein et plus profond que l'homme ordinaire, qui
efface la douleur de n'être qu'humain.
Baudelaire manifeste en cela la vérité de cet aphorisme de Nietzsche : « Sans
musique, la vie serait une erreur »..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- On a dit que la vérité de Baudelaire était dans le conflit de son idéal et de son spleen, dans ce drame de l'homme aux prises avec l'existence. Cela vous paraît-il être une suffisante définition de l'oeuvre baudelairienne ?
- CHARLES BAUDELAIRE, « L’ennemi » “ Spleen et idéal” Les Fleurs du mal (1857)
- Albert THIBAUDET note au sujet de MONTAIGNE : Il a haï les révolutions, et cependant c'est par l'esprit et l'action révolutionnaire du XVIIIe siècle que la pensée de Montaigne est devenue chair, que l'homme selon les « Essais » a été appelé à la vie. L'oeuvre a été plus révolutionnaire que l'homme. Elle a été révolutionnaire à contresens de l'homme. En partant de cette réflexion, vous direz sur quels points et dans quelle mesure l'oeuvre de MONTAIGNE vous paraît annoncer celle des « ph
- L'auteur d'un ouvrage consacré au drame cite l'affirmation catégorique de Baudelaire : « Qui dit romantisme dit art moderne» et ajoute que «les termes dans lesquels [celui-ci] définit la modernité — intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini — rappellent les plus secrètes intentions du drame romantique». Dans quelle mesure l'ensemble de ces propos vous paraît-il refléter la brève aventure de cette dramaturgie nouvelle ?
- « Les grandes oeuvres du théâtre sont toujours des oeuvres subversives qui mettent en cause l'ensemble des croyances, des idées, des modèles, l'image de l'homme, d'une société et d'une civilisation. Certes, avec le temps, les histoires de la littérature effacent ce conflit ou du moins feignent de l'ignorer, pressées qu'elles sont de tranquilliser le lecteur en présentant des oeuvres dans la suite apaisante d'une histoire et d'un déroulement. Mais à l'origine, toute grande oeuvre, même