Parmi les héroïnes de Racine, quelle est celle qui vous semble la plus humaine, la plus proche de vous, la plus facile à transporter, sans rien changer à son caractère, dans une pièce moderne ?
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Parmi les héroïnes de Racine, quelle est celle qui vous semble la plus humaine, la plus proche de vous, la
plus facile à transporter, sans rien changer à son caractère, dans une pièce moderne?
Rappelons d'abord ce que nous avons déjà dit.
Dans presque toutes les œuvres d'un passé assez lointain, la
différence des temps entraîné des conceptions d'art plus ou moins différentes; pour dégager l'intérêt humain actuel,
il faut transposer, ne pas tenir compte de certaines conventions.
La convention de la tragédie est qu'elle doit
mettre à la scène des événements historiques (ou de légende historique) exceptionnels et dont la plupart ne
pourraient plus trouver place dans la vie actuelle.
En fait nous ne pouvons plus supposer, dans la vie actuelle,
l'exacte situation d'Andromaque, de Britannicus, d'Iphigénie, etc.
M/ais, le plus souvent, il est facile de supposer des
situations équivalentes; et ce sont celles que nous devons imaginer.
Employons le procédé de la revue ; nous classerons ensuite :
Andromaque : une mère ne peut plus guère avoir à choisir entre la vie de son fils et un mariage qu'elle déteste; mais
elle peut avoir à décider entre la misère, la santé de ce fils et un pareil mariage.
— Hermione : il y a toujours des
amantes que la jalousie peut mener jusqu'au crime.
— Junie de Britannicus : physionomie assez pâle.
— Agrippine :
une femme ne peut plus guère avoir à défendre le pouvoir politique dont elle est avide.
— Bérénice : on peut
transposer; une femme se résignera à ce que son fiancé renonce à l'épouser pour obéir à un devoir supérieur
(préjugés de sa famille, jalousie d'un enfant d'un premier mariage, etc.), mais la transposition devra être assez forte.
— Roxane : transposition facile ; si une femme n'a plus le pouvoir de faire tuer légalement celui et celle dont elle est
jalouse, elle peut les tuer criminellement.
— Monime : transposition assez facile : une jeune fille peut être amenée à
épouser par devoir un homme âgé qu'elle n'aime pas (et dont, par exemple, la fortune sauvera les siens) en
renonçant à celui qu'elle aime.
— Iphigénie : transposition plus difficile; une jeune fille peut avoir à accepter non
plus a mort, mais, par exemple, un mariage qu'on lui impose; mais elle n'acceptera plus parce qu'elle tiendra
l'obéissance envers son père comme un devoir absolu, quelles que soient les circonstances.
— Phèdre: transposition
très facile : une femme peut aimer d'un amour coupable et, par une affirmation calomnieuse, dans un moment
d'affolement, perdre celui qu'elle aime.
Cet examen nous suggère immédiatement une synthèse, c'est-à-dire une conclusion générale qui se dégage des cas
particuliers.
Si l'on en excepte Agrippine et, à la rigueur, Iphigénie, les héroïnes de Racine pourraient, avec une
transposition très simple ou assez simple, être celles de drames modernes.
Il n'y aurait guère à changer sur des
points de détail que quelques conceptions de morale ou de morale sociale et le style.
C'est une des grandes
différences entre le théâtre de Racine et celui de Corneille, surtout si l'on considère non pas seulement les chefsd'œuvre de Corneille, mais l'ensemble de son œuvre.
Si nous voulons expliquer cette différence, il nous faudra
l'attribuer avant tout au génie de Racine.
Car les tragédies d'amour de Quinault, Thomas Corneille, Pradon, sont
aussi conventionnelles, en sens inverse, que les tragédies grandes à la mode de Corneille; aucun des amants «
soupirants » et « mourants » de ce théâtre ne pourrait être transposé sans ridicule dans une pièce moderne.
Le sujet vous demande maintenant de choisir.
Si nous classons, nous trouverons les héroïnes malaisées à
transporter dans la vie moderne : Agrippine, Iphigénie; — celles qui exigent une transposition assez grande, mais
facile : Andromaque, Bérénice, Monime; — celles qui rie demandent pour ainsi dire aucune transposition : Hermione,
Roxane, l'Eriphile d'Iphigénie, Phèdre.
D'où cette autre conclusion synthétique que le génie de Racine est avant tout
ou du moins prend sa forme la plus vivante dans la peinture de la passion violente et déchaînée (ce qui fait de lui —
voir sujet 39 — toute autre chose qu'un « doucereux »)..
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