Paul Eluard: La victoire de Guernica
Extrait du document
«
L'orientation du commentaire
Les indications du libellé sont presques superflues.
Elles orientent vers ce qui ne pouvait passer inaperçu : l'indignation
à l'égard de ceux qui n'ont pas hésité à anéantir sous les bombes un village et ses habitants.
Cette indignation
s'exprime en deux portraits antithétiques : celui des victimes auxquelles va la sympathie profonde d'Eluard et sa pitié;
celui des bourreaux dont il dénonce l'hypocrisie et l'inhumanité.
Notons en outre cette impression d'horreur inspirée par
l'évocation de la mort qui va se préciser et s'accuser au cours de la progression des strophes.
Le portrait des victimes,
celui des bourreaux, cette présence tragique de la mort, peuvent ainsi constituer les trois points autour desquels va
s'organiser le commentaire.
Introduction
La guerre civile espagnole.
Un des drames les plus sanglants de ces années pourtant si fertiles en massacres.
En une
nuit, le petit village de Guernica est détruit, avec ses habitants, pilonné par l'aviation.
De cette guerre atroce, c'est
l'épisode qui frappe le plus les esprits.
Picasso lui consacre une de ses œuvres les plus déchirantes, et la parole
d'Eluard éclate sous la poussée de la colère et de la douleur.
1.
Le peuple, héros et victime .
Beaucoup ont ressenti comme une défaite le bombardement de Guernica parce que les victimes représentaient avant
tout le peuple.
C'est aussi pour cette raison qu'Eluard en est profondément frappé.
En l'occurrence, il s'agit d'une
population misérable et l'auteur insiste sur cette idée puisque c'est par elle que s'ouvre le poème :
« Beau monde des masures De la mine et des champs ».
Il retrouve alors les accents d'un Verhaeren chantant l'homme au travail.
L'opposition « beau/masure » est significative
: l'auteur prend parti pour ce peuple en montrant l'injustice d'un ordre où les efforts sont payés par la pauvreté.
L'alliance « mines/champs » réalise le désir d'union entre ouvriers et paysans, parce que leurs buts sont les mêmes,
comme sont semblables leurs dures conditions de vie.
Celles-ci sont précisées dans la deuxième strophe : feu, froid,
nuit, injustice, coups.
Conditions de travail pénibles, car ils assurent les tâches les plus ingrates, mais aussi parce que
leurs maîtres les accablent.
L'opposition avec « bons » répété suggère qu'on les considère comme des bêtes
appréciées uniquement pour leurs capacités de travail.
L'accumulation de plus en plus rapide (vers 3-4) fait sentir
l'indignation sous-jacente devant de pareils traitements.
La vie qu'ils mènent, deux termes la caractérisent : « la
misère » (vers 11) et « parias » (vers 36).
Le premier renferme toute la difficulté à vivre et l'injustice; le second est
plus riche de sens car il fait de ces hommes le symbole de tous ceux qui sont rejetés, méprisés.
Exclus de ce monde
inique, et finalement supprimés.
Pourtant, c'est parmi eux que l'on trouve les vraies valeurs morales, les plus élevées.
Reviennent comme un leitmotiv
au milieu du poème : « les femmes, les enfants ont le même trésor...
».
Inattendus dans ce texte dur et révolté, ces
vers offrent une double perspective.
Ils sont comme une pause, un bain de fraîcheur, d'autant plus ressentis qu'ils
suivent une explosion de colère (vers 18).
La strophe 8 est remarquable par son allure sereine; on peut dire d'un seul
souffle les quatre vers qui la composent; beaucoup de voyelles les rendent chantants et clairs; les images évoquées «
feuilles vertes, printemps, lait », font partie des représentations les plus idylliques de la nature; « trésor, durée, yeux,
purs (répété) », élèvent ce tableau en lui donnant une signification spirituelle.
Un asile de paix dans un monde
impitoyable.
Cette image est reprise trois fois, chacune avec une valeur différente.
Dans la strophe 9, la mélodie est interrompue
par une considération plus pessimiste :
« Les hommes le défendent comme ils peuvent »,
premier signe de défaite possible, de faiblesse, d'impuissance.
Car ce trésor est d'autant plus fragile qu'il est précieux,
et pour ces hommes il est la chose la plus vulnérable.
A la strophe 10, cette impression se confirme et la belle vision
s'évanouit.
Ainsi, le peuple représente le monde du courage de vivre, fait de travaux durs et mal récompensés, et pourtant de
douceur aussi, et d'un idéal fragile et jamais atteint.
2.
Les bourreaux
Face à lui, on peut dire contre lui, des ennemis sans visage appartenant à un univers tout à fait opposé.
Fait
significatif, alors que Paul Eluard parle à plusieurs reprises des « visages » du peuple, ses adversaires sont désignés par
un « ils » vague et allusif (strophes 5, 6 et 7).
Aux « hommes réels », aux « femmes » et aux « enfants » font face des
êtres dépourvus de tout signe d'humanité.
Cette impression est renforcée par la répétition presque obsessionnelle de
ce « ils » en début de vers.
Pas de visage donc, mais des caractéristiques communes et d'abord la dureté.
On la pressent avant même que l'auteur
n'en parle : « injures, coups » n'en doutons pas viennent d'eux, l'injustice aussi.
Puis la strophe 5 précise ce trait.
Le
terme essentiel est : « payer »; les autres travaillent, rêvent de bonheur, eux font payer.
Mais on sent percer
l'indignation dans les termes qui précisent de quoi ils sont débiteurs : « pain, ciel, terre, eau, sommeil, misère »; une
longue énumération qui obéit à une progression dans l'iniquité.
Déjà le prix du pain paraît bien cher alors que ce sont
eux qui le produisent; mais même les éléments naturels essentiels qui sembleraient logiquement appartenir à tous,
comme si pour ces gens tout pouvait devenir propriété privée.
Le terme « sommeil » marque un nouveau degré dans
l'exploitation; même une bête a droit au sommeil, mais apparemment pas ceux qui travaillent durement.
Enfin « misère »
porte à son apogée la dérision sinistre de ces individus..
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