Paul SCARRON (1610-1660) - Le Virgile travesti
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Paul SCARRON (1610-1660) - Le Virgile travesti (Énée vient d'annoncer à Didon qu'il doit repartir) Tandis qu'Aeneas enfila Le discours civil que voilà, Didon, de raison dépourvue, Ne jeta point sur lui la vue. Les yeux fichés sur le pavé, Le visage de pleurs lavé, En son esprit bourru la rage Faisait un étrange ravage. Enfin ses yeux elle darda Sur Énée, et le regarda Depuis les pieds jusqu'à la tête, Furieuse comme tempête, Et puis lui dit ces mêmes mots : Ô le plus vil des animaux, Le plus dur et le plus sauvage, Et qui fais tant de l'homme sage, Tu n'es qu'un sot, tu n'es qu'un fat, Tu n'es qu'un larron comme un rat, Un coureur de franches lippées, Et tes suivants, traîneurs d'épées, Qui ne valent pas mieux que toi, Ne seraient pas vivants sans moi. Tu te dis fils de Cythérée : La chose n'en est assurée Qu'en tant que grand fils de putain ; Mais je sais bien pour le certain Que ni Cythérée est ta mère, Ni feu Dardanus ton grand-père, Et que toi, qui fais tant du coq, Ne fus jamais que fils d'un roc, Et qu'une montagne est ta mère ; Que de telle mère et tel père Il ne peut sortir qu'un caillou. Non, je me trompe, c'est un loup Qui t'engendra d'une panthère ; Aucuns disent une vipère Qui te conçut d'un léopard ; Les autres disent un lézard, Qui t'engendra d'une tigresse ; Autres, un dragon, d'une ânesse ; Un renard, d'un caméléon ; Un rhinocéros, d'un lion ; Un crocodile, d'une autruche ; Un loup-cervier, d'une guenuche. Pour moi je te mets au-delà De tous ces vilains monstres-là. Pour dire de toi pis que pendre, Et de crainte de me méprendre, Je te tiens roc, roche, caillou, Panthère, léopard et loup, Vipère, lézard et tigresse ; Je t'estime dragon, ânesse, Un rhinocéros, un lion, Un renard, un caméléon, Un faux crocodile, une autruche, Un loup-cervier, une guenuche, Et, pour achever mon sermon, Je te tiens pire qu'un démon, Pire qu'un diable qui t'emporte, Toi, ton fils, toute ta cohorte, Et moi sotte carogne aussi De m'être embéguinée ainsi D'un mangeur de poule, un gendarme ! [...] Va, va, je ne te retiens plus Par mes reproches superflus ; Va-t-en où ma fureur t'envoie, Que jamais je ne te revoie ; Va chercher ton pays latin, Fuis-moi, cruel, suis ton destin. Si le ciel a quelque justice, Un écueil sera ton supplice ; Là, tu demanderas pardon ; Là, tu réclameras Didon, Didon, par toi tant offensée, Au lieu d'être récompensée. Je te veux poursuivre, inhumain, Une torche noire à la main Je t'en grillerai les moustaches, Homme le plus lâche des lâches, Et, quand j'aurai fini mon sort, Tu me verras, après ma mort, Et jour et nuit, fantôme horrible, Te lançant un regard terrible ; Je te ferai partout : Hou ! hou ! Je te ferai devenir fou. En Enfer j'aurai la nouvelle Du désordre de ta cervelle ; Dieu sait si son vin il aura, Celui qui me l'apportera l Oh ! chien, loup, tigre, Suisse, Que bientôt le ciel te punisse ! " Après ce joli compliment, Qu'elle fit un peu brusquement, Elle lui tourna le derrière D'une dédaigneuse manière. (Livre IV, v. 1625-1687 et 1733-1764)
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