Paul Valéry, Je disais à Stéphane Mallarmé..., Variété III,1936.
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Paul Valéry, Je disais à Stéphane Mallarmé..., Variété III,1936.
Peu à peu dans le Poète, le Langage et le Moi en viennent à se correspondre tout autrement qu'ils ne font dans les autres hommes. [...] Le langage donné acquis dès notre enfance, étant d'origine statistique et commune, est généralement peu propre à exprimer les états d'une pensée éloignée de la pratique : il ne se prête guère à des fins plus profondes ou plus précises que celles qui déterminent les actes de la vie ordinaire. De là naissent les langages techniques, - et parmi eux, la langue littéraire. On voit dans toutes les littératures apparaître, plus ou moins tard, une langue mandarine, parfois très éloignée de la langue usuelle; mais, en général, cette langue littéraire est déduite de l'autre, dont elle tire les mots, les figures, les tours les plus propices aux effets que recherche l'artiste en belles-lettres. Il arrive aussi que des écrivains se fassent un langage singulier. Un poète use à la fois de la langue vulgaire, - qui ne satisfait qu'à la condition de compréhension et qui est donc purement transitive, - et du langage qui s'oppose à celui-ci, - comme s'oppose un jardin soigneusement peuplé d'espèces bien choisies à la campagne tout inculte où toute plante vient, et d'où l'homme prélève ce qu'il y trouve de plus beau pour le remettre et le choyer dans une terre exquise. Peut-être pourrait-on caractériser un poète par la proportion qu'on y trouve de ces deux langages : l'un, naturel; l'autre, purifié et spécialement cultivé pour l'usage somptuaire ? Voici un bon exemple de deux poètes du même temps et du même milieu : Verlaine, qui ose associer dans ses vers les formes les plus familières et les termes les plus communs à la poétique assez artificieuse du Parnasse, et qui finit par écrire en pleine et même cynique impureté : et ceci, non sans bonheur; et Mallarmé qui se crée un langage presque entièrement sien par le choix raffiné des mots et par les tours singuliers qu'il invente ou développe, refusant à chaque instant la solution immédiate que lui souffle l'esprit de tous. Ce n'était point là autre chose que se défendre, jusque dans le détail et le fonctionnement élémentaire de la vie mentale, contre l'automatisme.
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