Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes divers) - Impression de printemps
Extrait du document
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L’impression vague et fugitive, la perception des nuances de l’âme et l’attachement profond à la mélodie font partie des éléments fondateurs de la poésie
verlainienne.
« Impression de Printemps » obéit à ce lyrisme spécifique qui fait du poète une figure majeure de la fin du XIXe siècle.
Entre précision et
imprécision, quelle parole poétique se fait entendre pour dire l’exaltation d’un instant (« un moment si charmant ») ? Quels imaginaires se croisent au sein du
poème, faisant signe vers quelle esthétique et quelle vision du monde ? Quel lyrisme, porté par une langue immédiate trouve ici son expression ?
Du « on » au « moi » : une voix fondue dans un poème impressionniste
-
Le choix du pronom « on » comme principal sujet (« L’on se souvient », « L’on aime », « L’on se sent ») plonge d’emblée le poème
dans un espace d’indéfinition et d’imprécision.
Cet aspect est corroboré par l’emploi de verbes qui marquent l’incertitude : « semble »,
« dirait-on ».
On trouve une seule occurrence du « je » : « Gardez-moi » qui détache le poète, à la fin du texte, du « on » dans lequel il
s’inclue.
La voix qui se fait entendre est donc une voix prenant le lecteur à partie, comme le montre l’incise « avez-vous remarqué ? » et le
recours au pronom « on ».
Cet effet englobant met en avant une parole poétique qui se veut presque picturale puisqu’elle ne cesse de
suggérer, touche par touche.
-
Le poème relate une expérience, épreuve du bonheur profond que peut contenir un instant.
En découle l’isotopie du bien-être et du
ravissement : « gai », « gaîté », « léger », « bonheur », « moment si charmant ».
Le caractère évanescent de ces sensations (« léger »,
« tant est léger » « faut-il que meure ce bonheur ? », « perdre un moment »), et le flottement qui leur est conjugué (« l’on rêve », « l’on
croirait voler », « sans bien se rappeler …») peuvent laisser à penser qu’il s’agirait d’un paradis artificiel.
En tout cas, il s’agit bel et bien
d’un moment charnière, suspendu, d’où le titre du poème « Impression de printemps ».
La dynamique globale du poème s’emblématise
dans le terme « impression » tandis que le printemps évoque bel et bien cet « entre deux » (entre deux saisons) de l’instant.
-
Le poème est régit par un mouvement flottant, fonctionnant touche par touche, qui en fait véritablement un texte impressionniste.
Tout fonctionne par opposition, balancement d’un terme à son contraire pour créer un effet de flottement perpétuel, ainsi que le soulignent
les expressions suivantes : « L’on se souvient sans bien se rappeler… », « L’on aime (…) sans amour », « plus et moins qu’humain ».
Le
dernier quatrain appuie ces opposition par la sonorité : sont reliés par la rime les termes « bonheur »/ « malheur » et
« tourment »/ « charmant ».
« La vie est bonne et l’on voudrait mourir » : les paradoxes d’une vision du monde marquée par le détachement
-
Le poète pose d’emblée une distance entre le monde et lui par l’emploi des impersonnels et les présents d’habitude ou de
répétitions (c’est bien cet aspect qui est d’emblée introduit par l’expression initiale « il est des jours ») : « L’on se souvient » « l’on semble
nager », « l’on aime ».
Le lexique de l’imprécision signale également une vision du monde en proie au détachement, plaçant le poète dans
un « flou » généralisé : « indécis », « plus et moins », « semble », « dirait-on »…
-
Les contradictions multiples relativisent l’état de félicité qu’arbore le poète.
La tension entre vie et mort et l’appréciation
ambivalente de la vie (« la vie est bonne », « meure plutôt la vie et son tourment ») font appel à un imaginaire décadent.
La fugitivité,
l’absence de perspectives en sont les marques les plus prégnantes et le poème de Verlaine en est empreint avec des expression telles
que: « Hélas ! faut-il que meure ce bonheur ? ».
Le déclin ou la dégénérescence se lit dans le poème qui s’ouvre sur la joie « plus gai/Que
la même gaîté d’un damoiseau » et se ferme sur la peur de la fin « Gardez-moi du malheur/D’à jamais perdre un moment si charmant ».
-
Par les paradoxes développés tout au long du poème, le poète se crée une figure chargée d’ambivalence.
croit-il vraiment au
bonheur qu’il décrit ? La seule occurrence du « je » est située dans le dernier quatrain, où il est question de « tourments » et de
« malheurs ».
L’appel au divin semble d’ailleurs chargé d’ironie et la supplique par là même teintée d’une habile dérision.
Le lyrisme verlainien : langue immédiate, poésie suggestive
-
L’écriture poétique verlainienne fonctionne par touches successives, laissant une « vague impression ».
Le ressenti évoqué est
porté par une langue immédiate qui perçoit les nuances de l’âme dans leur contradiction même.
C’est pourquoi le jeu des contraires prend
une telle place au sein du poème et l’écriture se fait ainsi suggestive : elle évoque tout en restant dans l’imprécision, ainsi que le montre le
premier vers : « il est des jours ».
-
Le poème est rythmé de façon irrégulière (la césure du dizain étant tantôt à 4/6 tantôt à 2/8, parmi d’autres possibilités…) et les
cassures qui en résultent font signe vers une poésie qui prend ses distances par rapport à son propre mode de fonctionnement.
L’incise
« et non » dans le vers « Evidemment l’on rêve, et non, pourtant » porte les stigmates –de même que l’interjection « Hélas ! »- d’un lyrisme
empreint de distance, et qui cultive même un certain humour.
-
Les jeux sonores qui émaillent le texte permettent de tisser une musique reliant tous les contraires.
« malheur » et « bonheur »
sont ainsi mis, par la rime, sur un plan identique, de même que la rime interne « nager »/ « voler » semble annihiler l’opposition.
Les jeux de
répétitions « trompe »/ »trompé » « sûr de soi »/ « soi » crée des effets de circularité et d’insistance dans la troisième strophe.
Le
caractère suggestif du tissage sonore est mis en évidence dans cette dernière, et trace ici, en filigrane, une figure du poète en mal avec le
monde de son temps –soit : « les autres »-.
Au final, l’écriture poétique semble conjurer la peur de la perte, par une musicalité suggestive,
une langue immédiate qui transmet une expérience –ou « impression de printemps »- et qui, tout en la célébrant, la met à distance.
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