Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes saturniens) - Promenade sentimentale
Extrait du document
«
Introduction
En 1866, dans le monde de la poésie toujours dominé par le talent de Baudelaire et marqué par la constitution du
groupe Parnassien sous l'autorité esthétique de Leconte de Lisle, se fait entendre une voix nouvelle à l'occasion de la
publication des Poèmes Saturniens de Paul Verlaine (dont certains sont déjà parus dans des revues littéraires).
L'inspiration générale du recueil a été définie par l'auteur lui-même qui se présente comme un de ces êtres « nés sous
le signe de Saturne », que leur influence astrale voue, entre tous, à avoir
« Bonne part de malheur et bonne part de bile.
L'imagination, inquiète et débile,
Vient rendre nul en eux l'effort de la Raison.
Dans leurs veines le sang, subtil comme un poison, Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule
En grésillant leur triste Idéal qui s'écroule.
»
Promenade Sentimentale appartient à la partie de l'ouvrage intitulée « Paysages Tristes ».
La tristesse est en effet la
tonalité dominante de ce poème, tristesse dont le caractère obsessionnel ressort de l'architecture rythmique du texte,
tristesse d'un paysage en demi-teintes qui s'accorde avec la mélancolie du poète dont il est en quelque sorte la
traduction en images, mais une tristesse plus poignante et douce que violemment désespérée.
I.
La structure du poème, figure de l'obsession
L'architecture du texte est très significative.
Il progresse suivant un double mouvement.
1.
Un mouvement qui se referme sur lui-même
• Les quatre premiers décasyllabes évoquent le décor, les huit suivants, l'errance solitaire du poète à travers le
paysage, et les quatre derniers nous ramènent au paysage avec reprise en écho des mêmes termes agencés d'une
façon subtilement modifiée et retour des mêmes rimes : suprêmes/blêmes ; roseaux/(-s)eaux, rimes plates et riches.
Les vers 5 à 12, qui font apparaître avec le je le mouvement et les sons, sont encadrés par deux quatrains de façon
symétrique ; en effet, l'identité des rimes permet de parler de quatrains même si la disposition typographique ne
détache pas ces deux séquences de quatre vers statiques où temps et mouvements sont comme suspendus.
Le poème
est ainsi un ensemble clos.
La structure grammaticale elle-même épouse cette forme : y.
1-4 : une phrase ; v.
5-12 : une phrase ; y.
12-16 : une
phrase.
• Même mouvement circulaire dans la partie centrale.
Trois hémistiches, « moi, j'errais tout seul, promenant ma plaie,
parmi la saulaie » sont repris presqu'intégralement, encadrant symétriquement (v.
5-6/v.
11-12) la partie centrale.
On
a donc un double procédé d'enchâssement, une structure qui prend la forme de deux cercles concentriques.
• Retour des sonorités : la reprise de vers ou hémistiches semblables entraîne le retour des mêmes mots, donc des
mêmes phonèmes, donc un effet d'écho et d'unité sonore.
La présence de très nombreuses rimes intérieures et
assonances renforce cette impression.
Le poème fonctionne sur un nombre restreint de sons.
De loin les plus
fréquents, les voyelles nasales — an —, représentées 14 fois dans 16 vers, et le phonème ê (34 emplois, dans les
imparfaits notamment), sons voilés, expriment de façon constante lenteur et monotonie.
• Ces procédés de répétition aboutissent à une certaine harmonie sensible à l'oreille mais surtout, ils communiquent au
subconscient une impression d'obsession avant même que la conscience s'ouvre au sens des mots, et figurent une
sorte de cercle dont le poète, refermé sur ses pensées est prisonnier.
2.
Un mouvement progressif
Il y a toutefois une progression d'ordre chronologique puisque le poème s'achève au moment où la nuit a triomphé du
jour ; le changement est marqué par le passé simple succédant à la série d'imparfaits.
Le poème est doublement clos :
à l'idée d'obsession s'ajoute l'idée de déclin et d'engloutissement puisque les ondes blêmes appartiennent cette fois aux
ténèbres qui anéantissent le paysage.
Mais, quelle est la nature de la souffrance ainsi suggérée ?
II.
La souffrance du promeneur solitaire
1.
Solitude
Le titre laisse attendre une promenade d'amoureux, en fait, il s'agit de la promenade d'un être seul, désemparé, blessé
au coeur (ma plaie), sans qu'il soit précisé d'ailleurs s'il s'agit d'un chagrin d'amour.
Le mot seul, repris deux fois, est
mis en valeur par sa place avant la césure du v.
5 et à la fin du v.
11 où il fait écho au mot saulaie, proche par la
sonorité.
On peut imaginer le retour d'un homme à l'endroit qui a vu une autre promenade avec la femme aimée,
maintenant disparue ou éloignée, ou un rêve de promenade à deux, l'adjectif sentimentale prenant alors un sens de
cruelle dérision.
De toute façon, il y a absence de l'autre.
2.
Désarroi
La marche est sans but, le verbe errer traduit le désir d'oublier peut-être, en tout cas la douleur et l'incertitude.
La
forme même de la longue phrase qui s'étire de façon chaotique du v.
5 au v.
11 souligne le désarroi.
Les enjambements
nombreux brisent le rythme du décasyllabe en interdisant à la voix de se poser en fin de vers et aboutissent à une.
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