Pensez vous que la modernité des romantiques consiste à représenter sur la scène, non plus des héros, mais des hommes ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet
Le sujet demande que l'on prenne position sur une affirmation suivante: la modernité des romantiques consiste à représenter sur la
scène non plus des héros, mais des hommes.
Cette formulation du sujet est particulièrement lapidaire.
Il va d'abord falloir en mettre
en évidence les éventuels présupposés ; ici, on peut repérer le présupposé suivant : sur la scène préromantique (classique,
notamment, tant l'esthétique romantique se définit contre le classicisme), c'étaient des héros qui étaient représentés.
Il va ensuite falloir définir son champ d'application.
L'expression « représenter sur la scène » invite à s'intéresser au domaine du
théâtre : c'est donc essentiellement le drame romantique, tel qu'il a existé à la fin de la première moitié du dix-neuvième siècle, qui
sera en jeu ici – on pourra penser, par exemple, à Hugo, fondateur théorique du genre (dans la Préface de Cromwell, notamment, qui
date de 1827), ou encore à Musset, ou même à Stendhal, qui n'a pas produit d'œuvre dramatique mais a publié en 1823 un ouvrage de
critique comparative des genres théâtraux : Racine et Shakespeare.
Enfin, il faut définir les concepts mis en jeu.
Ici, les mots centraux sont : modernité, romantiques, héros et hommes.
La « modernité »,
tout d'abord, renvoie au caractère d'une chose que l'on estime à la fois dans son temps et nouvelle, révolutionnaire par rapport aux
époques passées.
Est moderne ce qui innove à un point tel que l'on puisse prendre cette modernité pour un critère de découpage du
temps.
C'est donc le caractère esthétiquement révolutionnaire du romantisme qui est en jeu ici.
Les romantiques désignent les tenants
de l'école romantique, qui se développe en France au XIXè siècle – notamment dans les années 1820-1850 - en réaction au classicisme
littéraire et au rationalisme philosophique ; il met en avant l'individu, le « moi » dans toute sa complexité, le sentiment, la passion, le
sublime, parfois le morbide.
C'est l'exploration de l'individu sous l'angle du sentiment qui est privilégiée.
Le dernier point à définir est
l'opposition posée par le sujet entre « héros » et « hommes ».
Le héros se définit comme une figure légendaire, douée d'une force
extraordinaire qui le place au-dessus du commun des hommes et l'élève au niveau de l'idéal.
La notion d' « homme » renvoie, au
contraire, à l'universalité de l'humanité commune, avec ses qualités et ses défauts, sa complexité : si on l'oppose au héros, le héros
peut être considéré comme une sorte de surhomme.
Ce travail de définition effectué, il va falloir évaluer la pertinence de l'affirmation contenue dans le sujet, en interrogeant les procédés
de traitement du personnage par le drame romantique – puisqu'il est ici question de la « scène » - afin de déterminer si ces
personnages sont bien des hommes et non plus des héros comme, par exemple, aux temps de la tragédie classique.
Eléments pour le développement
* Héros classiques vs.
hommes romantiques ?
La première partie du travail pourra examiner l'opposition proposée par le sujet entre héros (que l'on peut supposer être ceux,
notamment, de la tragédie classique) et hommes (que le sujet considère comme étant les objets du drame romantique).
Une manière
pertinente de procéder à cet examen serait de comparer le traitement du personnage chez les classiques et chez les romantiques :
peut-on, ainsi, attribuer le même statut au personnage de Phèdre chez Racine et au personnage de Ruy Blas chez Hugo ? Racine
emprunte son personnage à l'Antiquité, le détachant ainsi du contexte mental de son temps, Phèdre est un personnage de rang royal,
elle est liée aux dieux, elle ne dévie jamais des concepts de la passion et de la destinée qu'elle incarne, Ruy Blas est, au contraire, un
laquais, un homme du commun, dont on suit non pas tant la destinée que l'évolution : d'une certaine manière, au concept de destin
s'oppose celui de construction de l'individu.
Il semble donc assez pertinent, au premier abord, de poser une opposition radicale entre le
traitement classique et le traitement romantique du personnage : le personnage classique est en effet un héros, le personnage
romantique est en effet un homme.
* La notion de « héros romantique » est pourtant pertinente : l'opposition homme/héros n'est pas si nette que le sujet
le laisse entendre
Réduire l'opposition de traitement du personnage par les classiques et les romantiques à une opposition homme/héros semble toutefois
être une position limitée, tant les personnages du drame romantique sont traités avec une forme de lyrisme, exaltés, mis en valeur par
des procédés formels qui les élèvent au rang de héros.
La manière qu'a Musset de peindre son personnage de Lorenzaccio, par
exemple, met en avant une sorte de quête de l'héroïsme – qui culminera avec l'assassinat d'Alexandre -, mais une quête complexe,
contrecarrée par les errances intérieures de l'individu singulier qu'est Lorenzaccio (cf.
la scène centrale, acte III, scène 3, où Lorenzo
révèle à Philippe Strozzi ses cheminements, ses doutes).
Lorenzo cherche l'héroïsme, le trouve et le perd à la fois, Musset décrit une
réalité psychique complexe et non un type idéal : l'homme et le héros se confondent sous la forme d'une quête, d'une évolution
difficile.
Le traitement romantique du personnage s'attache à dépeindre les errances, les obstacles, les échecs, en même temps – et
certainement pas en opposition à – qu'une quête de grandeur et d'héroïsme.
* La modernité romantique ne consiste pas tant dans le choix des personnages (« hommes » à la place de « héros »)
que dans la manière dont ceux-ci sont traités : sur la scène romantique, les héros se font hommes.
Finalement, il faut refuser l'opposition, trop caricaturale, posée par le sujet entre hommes et héros : le caractère « héroïque » ou
« humain » d'un personnage résidait pour les classiques dans le choix même des personnages en question (rang royal, origine divine,
etc.) ; pour les romantiques, l'héroïsme est compris comme l'objet d'une quête menée par un homme, quête vouée éventuellement à
l'échec mais qui comporte, dans son développement même, que l'auteur invite à suivre, une teinture d'héroïsme : il s'agit simplement,
désormais, d'un héroïsme humain.
On pourra commenter à ce sujet le lyrisme de la scène finale de Ruy Blas de Hugo.
Cela permet de mettre en évidence une caractéristique fondamentale du drame romantique, caractéristique d'ailleurs de l'esthétique
romantique en général : c'est l'individu, dans sa complexité et son développement, qui est mis en avant, et c'est au sein de cette
individualité que se construit, non sans obstacles, l'héroïsme.
Conclusion
Il semble assez aisé au premier abord d'établir une radicale opposition entre héros – notamment classiques – et hommes tels qu'ils
sont mis en scène dans le drame romantique.
Cette opposition mérite pourtant d'être réévaluée grâce à un examen du traitement que
le drame romantique fait de ses personnages : un point fondamental de l'esthétique romantique apparaît alors : il s'agit en effet, pour
elle, de faire de l'individu un héros, non par son statut originel mais par sa construction intérieure, nécessairement complexe et
soumise à l'éventualité de l'échec..
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