Pérec (Les Choses): Dans le monde qui était le leur, il était presque de règle de désirer toujours plus...
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ANALYSE
L'auteur énonce la difficulté majeure de ce couple : désirer plus qu'il ne peut acquérir.
Il leur ôte à tous deux la responsabilité de cette attitude : elle fait partie des lois de la civilisation.
Il évoque alors leurs réactions : honte de ne pas avoir assez d'argent, fierté de payer moins cher, ou le plus cher d'un seul
coup.
Il explique la pression psychologique qu'exerce la publicité :
elle leur fait comprendre leur situation dans l'échelle sociale.
Il achève ce passage par une phrase toute faite qui a la
valeur
d'une dérision : ils ne sont pas les plus mal lotis.
COMMENTAIRE
Ce texte forme un tout : il pose un problème et offre dans son déroulement les éléments de la discussion.
Il convient donc
de le commenter dans son ensemble.
Georges Pérec évoque la vie d'un jeune couple-type, futurs cadres supérieurs, et ses aspirations.
Nous nous rendons
compte qu'ils sont tributaires d'un système économique.
Bien qu'ils soient des intellectuels, donc plus à même que
d'autres de réfléchir à leur propre situation, ils ne peuvent échapper à une société qui les traite comme de futurs cadres
pour s'efforcer de susciter en eux des désirs spécifiques.
L'impression qui se dégage de cette analyse est l'impuissance
devant un tel système.
Il semble que nul ne puisse y échapper.
Nous essaierons de discuter les idées contenues dans ce
passage, et de déterminer s'ils est possible de trouver une issue.
I - LES MODES DE PRESSION DE LA SOCIÉTÉ DITE « DE CONSOMMATION »
La société de consommation attaque le jeune couple à deux niveaux : en les considérant comme des intellectuels, en les
traitant comme de futurs cadres supérieurs.
Il est frappant, en effet, de constater la faculté d'adaptation de la publicité,
arme majeure de ce type d'économie.
Les journaux nous en offrent les exemples les plus décisifs.
Chaque journal
s'adresse à une couche sociale déterminée : dans cet ouvrage, Georges Pérec fait allusion à L'Express, vendu surtout
dans les milieux de cadres supérieurs.
Nous savons aussi que la presse féminine change complètement de style selon
qu'elle s'adresse à des bourgeoises ou à des ouvrières.
La publicité qui s'y insère — et la fait vivre — est également
adaptée : on vante la merveilleuse bibliothèque ou le fauteuil profond en cuir souple dans les magazines à clientèle riche,
et la salle à manger en faux rustique bon marché dans l'hebdomadaire destiné à la femme du petit employé.
Le principe
est, dans presque tous les cas, de mettre en valeur des marchandises dont le coût est un peu supérieur à ce que le client
peut acheter raisonnablement.
Il est alors pris par le système de crédit, ligoté par les traites.
Bien entendu, plus que pour d'autres, ce processus est aliénant pour ceux qui ont le sentiment de s'élever dans l'échelle
sociale : ils désirent alors tout ce qui est hors de leur portée.
Mais une tactique plus habile encore est de s'adresser à ce jeune couple-type en tant qu'intellectuels : leurs aspirations
culturelles doivent alors se tourner vers la possession « d'articles culturels » : livres, donc bibliothèques ; voyages, donc
clubs très chers ou croisières ; entourage artistique, donc tableaux ou reproductions de qualité, etc.
Là plus qu'ailleurs la
vente à crédit prend des allures de philanthropie.
Ce système crée donc une double hypocrisie : il suscite des besoins en leur donnant une apparence de spontanéité, il
flatte les aspirations intellectuelles en les détournant vers la possession d'objets culturels.
II.
- LES ISSUES POSSIBLES
Georges Pérec n'en voit aucune.
Mais il nous est permis d'en trouver une.
Elle peut s'ouvrir sur deux plans différents : la
lutte contre ce type de société ou la résistance intérieure.
La première semble difficile dans la mesure où tout le système économique de nos pays engendre ce processus et en a
besoin.
Même les pays socialistes européens n'y échappent pas et créent également une société de consommation.
L'espoir semble donc vain.
Tout en étant conscient du phénomène, on en est prisonnier.
Et pourtant l'exemple d'un des
pays les plus avancés dans ce système, les États-Unis, peut nous apporter un espoir.
Nombreux sont ceux, surtout parmi les jeunes, que rebute ce mode de vie factice et aliénant.
Ils se lancent alors' dans la
lutte politique qui soutient le système économique, ou s'élèvent par une recherche intellectuelle qui l'analyse.
La
satisfaction par les biens matériels semble donc ne pas étouffer les autres aspirations, et contient en elle-même sa
révolte.
Mais la seconde attitude est en fait la plus ambiguë : prétendre se détacher du système dans lequel on vit, en se livrant à
une réflexion libre sur des sujets désintéressés, intellectuels, artistiques ou spirituels, sans pour autant dédaigner les
apports de l'économie, c'est s'avancer sur la corde raide.
Les méthodes de pression psychologique guettent à chaque pas
celui qui s'aventure ainsi.
Cette attitude est donc, de loin la plus dangereuse, mais peut-être aussi la plus fructueuse.
CONCLUSION
Le monde oppressant dans lequel évolue le jeune couple de ce roman-reportage, est aussi le nôtre ; nous ne pouvons ne
pas en être effrayé.
La liberté humaine y est abolie par un système économique qui prévoit et prévient toutes nos
aspirations, les exploite en créant des besoins que nous ressentons malgré nous.
Cependant, après l'application de ce
système durant plusieurs années, il est permis de penser que par un effort puissant de lucidité et la mobilisation de toute
son énergie, l'homme peut réussir à conserver sa liberté..
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