Pierre-Aimé Touchard écrivait dans une étude récente sur Molière : « l'auteur dramatique n'est auteur que parce qu'il est lui-même le théâtre d'un incessant conflit qu'il ne peut ni résoudre ni dépasser, et dont il essaye de se délivrer en l'objectivant, en le dépliant sous nos yeux. » Vous examinerez quelques exemples pour expliquer et au besoin discuter cette assertion.
Extrait du document
Si Philinte était,
comme on l'a dit, « le sage de la pièce », et Alceste la victime jetée en pâture
aux rires du parterre, comment expliquerait-on que quelques-uns des accents
humains les plus graves de notre théâtre aient été précisément placés dans la
bouche d'Alceste ?
« Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre Le fond de notre coeur
dans nos discours se montre... Tant pis pour qui rirait J'ai tort, ou j'ai
raison»...
Molière aurait-il été sublime malgré lui ? Il est plus simple de penser qu'il
portait en lui un Philinte et un Alceste, c'est-à-dire un courtisan accommodant,
ami des bonnes compagnies et de leurs plaisirs, et un honnête homme écoeuré des
bassesses et des frivolités qu'il côtoyait, et plus amèrement de celles
auxquelles il avait pu lui-même prendre part. Comment, s'il avait été tout
Philinte, comprendrait-on la hardiesse de sa peinture, et s'il avait été tout
Alceste, sa réussite à la Cour, la fantaisie et la grâce qui éclairent souvent
son théâtre, et cette gaîté qui, quoi qu'en dise Musset, n'est pas toujours
triste ? Ainsi pouvons-nous voir, à travers le dialogue d'Alceste et de Philinte,
se « déplier sous nos yeux » et s'« objectiver » le double visage de Molière.
De même on pourra penser, devant le tête-à-tête de Don Juan et de Sganarelle,
devant celui de Mercure et de Sosie, ou encore ceux des époux Jourdain, que
Molière « se délivre », par le grossissement et la poésie dramatiques, d'un
conflit insoluble. Bourgeois, assez proche du peuple par ses origines, il est
entré dans l'orbite des Grands. Il connaît les « valeurs » selon lesquelles on
vit et on pense dans ces deux mondes ; elles ont dans son coeur des attaches
vivaces, quoiqu'il en voie fort bien l'envers ridicule ou redoutable : d'un
côté, la bonne volonté, le respect, le dévouement, la prudence; de l'autre
l'élégance, la désinvolture, l'art de jouir et l'art de plaire.
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- « Un texte dramatique est un texte littéraire conçu en vue d'être représenté : sa nature est double ; il n'existe pas sans un style, appréciable à la lecture, et pourtant ses valeurs propres ne peuvent pleinement jaillir que par le jeu du théâtre, par la représentation. » Commentez cette affirmation de Pierre-Henri Simon.
- CHAMFORT conclut ainsi son Éloge de Molière (1766) : N'existerait-il pas un point de vue d'où Molière découvrirait une nouvelle carrière dramatique ? Répandre l'esprit de société fut le but qu'il se proposa. Arrêter ses funestes effets serait-il un dessein moins digne d'un sage ? Verrait-il sans porter la main sur ses crayons l'abus que nous avons fait de la société et de la philosophie, le mélange ridicule des conditions, cette jeunesse qui a perdu toute morale à quinze ans, toute sen
- « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants comme sa pauvre et infirme nature », écrivait Th. Gautier. Que pensez-vous de ce jugement? Vous direz, en particulier, en empruntant vos exemples à vos propres lectures, quelle utilité vous reconnaissez aujourd'hui à la littérature.
- Selon Pierre-Henri Simon, « l'exploitation moderne des mythes antiques » se fait généralement de la façon suivante: l'auteur moderne cherche à «y trouver, pour l'intelligence de l'homme du xxe siècle, un prétexte de réflexion et un jeu de symboles, en l'amusant d'ailleurs par la virtuosité de la transposition » (Théâtre et destin, 1959).
- « Le personnage dramatique ne commence vraiment à vivre que sur scène. Les diverses interprétations qu'on peut en donner le modifient de façon sensible » de Maurice Desotes dans Les grands rôles du théatre de Racine en 1957. Je doit discuter cette affirmation en un développement organisé, s'appuyant sur des exemples précis tiré du corpus donné c'est à dire Phèdre de Racine, Hernani de Victor Hugo, En attendant Godot de Beckett et Le Roi se meurt de Ionesco.