Pourquoi la mort est-elle un des thèmes privilégiés poésie lyrique ?
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L'expression "poésie lyrique" est à prendre avec précaution : si de nombreuses poésies au XIXe sont classées d'emblée
dans la poésie lyrique (celles de Lamartine, de Vigny) il reste assez difficile de définir précisément ce qu'on entend par
"tonalité lyrique" et "souffle lyrique" : des poètes contemporains, comme Mallarmé ou Apollinaire, semblent aussi exprimer
quelque chose qui relève du lyrisme dans leur poésie, bien qu'elle soit très différente de celle de Lamartine.
On peut dégager quelques caractéristiques du lyrisme, qui peuvent s'appliquer à des poètes en apparence très divers : la
tonalité lyrique peut naître du processus d'élargissement soudain du regard du poète, qui sort de lui-même pour
considérer un peuple, le monde où l'univers; et les poèmes lyriques abordent souvent un thème essentiel, celui de la mort,
prétexte à une réflexion sur la beauté et la fragilité de la nature, ou à l'inverse fondement secret d'un poème qui en
apparence n'aborde pas vraiment ce sujet.
L'évocation de la mort peut-elle être un trait de définition de la poésie lyrique?
I La mort est un thème propice à l'expression lyrique
La mort est un sujet qui semble particulièrement favoriser un type d'expression lyrique : le lyrisme, selon la définition du
Littré, est "caractéristique d'un style élevé, d'un langage inspiré": c'est une tonalité qui fait apparaître le poème comme
inspiré par les dieux, et donne au poète les traits de Ion, le rhapsode inspiré du dialogue Ion de Platon, qui ne fait que redire les paroles du dieu.
La tonalité lyrique est adaptée à un thème essentiel comme l'est celui de la mort.
La tonalité lyrique se traduit souvent dans un poème par l'élargissement à l'universel : le regard de celui qui parle sort de
lui-même, se pose sur la nature, le monde, l'Univers.
Or la mort est un thème universel, puisqu'elle touche l'intégralité de
ce qui existe.
Exemple : L'occident de Lamartine : le poète décrit un paysage qui s'assombrit peu à peu à la tombée du soir; le coucher
du soleil est en permanence associé à l'idée de la mort "sanglante image" de l'astre qui "tombe", évocation des ombres et
des nuages qui fuient la mort en courant vers le soleil à la 6e strophe, occurrences fréquentes de "tout", "disparaître",
"s'engloutir" au dernier vers.
La crainte de la mort qui sous-tend cette description va de pair avec un élargissement de la
conscience du poète à l'universel, au paysage qui meurt au coucher du soleil.
+ ton inspiré de la vision prophétique, avec
longues phrases sans ruptures (pas d'enjambements ni de césures inhabituelles) qui donne l'impression que le poète est
initié à un secret divin (le mystère de la Mort où "tout va s'engloutir").
II Le chant lyrique permet de vaincre la crainte de la mort
On peut reprendre l'exemple de Lamartine : la tristesse qui habite le poète dans Occident est sublimée par la beauté de la
description, la peur de disparaître qui l'occupe individuellement est anoblie par son élargissement à la disparition de la
nature.
Beaucoup de poèmes évoquant la mort se caractérisent par ce procédé d'élargissement et de sublimation poétique, qui
permet de surmonter la crainte de la mort: dans Harmonie du soir, de Baudelaire, on a aussi la description d'un coucher de
soleil, qui va de pair avec l'évocation discrète de la mort ("le néant vaste et noir", coucher de soleil sanglant où l'astre se
noie) mais le dernier vers montre le triomphe du poète sur la mort par le souvenir, immortalisé dans le poème : "ton
souvenir en moi luit comme un ostensoir".
Le dépassement de la mort par la poésie est d'autant plus perceptible ici qu'il
s'agit d'un pantoume, c'est-à-dire d'un poème basé sur la répétition de vers : 1) la dimension de travail, d'effort, de
contrainte d'écriture permet de canaliser d'autant plus une peur irrationnelle 2) le ressassement, la répétition rappellent
la forme de l'incantation : on répète, on nomme pour se familiariser avec ce qui fait peur (fonction apotropaïque : se
prémunir contre des puissances négatives et maléfiques)
III La poésie lyrique peut n'évoquer la mort qu'en "creux", en la subordonnant à la fantaisie poétique
On peut se pencher sur des auteurs postérieurs au XIXe siècle, qui se caractérisent par un lyrisme particulier et par une
évocation particulière de la mort : par exemple Apollinaire, qui privilégie dans plusieurs de ses poèmes un ton bouffon,
grinçant, qui semble très éloigné du chant lyrique.
Pourtant cette esthétique bouffonne, parfois grotesque, lui permet
d'évoquer la mort, de la rendre familière et de la vaincre, dans une perspective qui produit une tonalité lyrique particulière.
Exemple : Les sept épées dans La chanson du mal-aimé et le poème Cortège : les 6 premières strophes des sept épées ne
parlent pas de la mort, laissent libre cours à la fantaisie poétique; mais c'est cette fantaisie qui lui permet de nommer
explicitement à la dernière strophe "une femme une rose morte" et de surmonter le souvenir de cette mort : "je ne vous ai
jamais connue".
Le lyrisme naît ici en fin de poème, avec la mention de la douleur secrète du poète : la fantaisie poétique
des 1ers vers prend son sens, comme moyen pour le poète de surmonter sa douleur.
Les trois dernières strophes de
Cortège donnent de la mort du poète une image bouffonne; mais cette tonalité grinçante n'empêche pas un élargissement
à l'universel ("les peuples s'entassaient...
Les dieux qui me formâtes") et finalement une victoire de la crainte de la mort
:"rien n'est mort de ce qui n'existe pas encore".
On voit que le lyrisme est présent chez des auteurs d'époques ou d'inspirations diverses: dans un chant de Lamartine,
dans un pantoume de Baudelaire, dans des poèmes grincants chez Apollinaire.
Le point commun de ces trois textes reste
le rapport particulier à la mort qu'ils instaurent par la poésie : sans être explicitement nommée (sauf en fin de poème) elle
est présente dans une description de paysage, de coucher de soleil, ou dans une fantaisie poétique apparemment
gratuite; cette évocation détournée lui donne un visage fascinant de beauté (un coucher de soleil), émouvant et familier
(le souvenir) ou grotesque et fantaisiste, et dans tous les cas permet au poète, de surmonter sa crainte de la mort en la
sublimant, et de trouver une parade par le souvenir, l'humour et l'écriture poétique..
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