Pourquoi peut-on dire que le metteur en scène est le deuxième auteur d'une pièce de théâtre ?
Extrait du document
«
Le théâtre est une forme vivante de la littérature.
Il est écrit pour être dit et joué.
En somme pour être mis en
scène.
De ce fait, le metteur en scène doit tenir compte de l'écriture proprement dite (il doit un respect absolu au texte et
ne peut le retoucher), mais il doit également s'intéresser à ce qui relève de la représentation théâtrale, c'est-à-dire aux
didascalies inscrites dans l'œuvre et aux différents choix qui portent sur les acteurs, l'espace scénique, l'accompagnement
musical, les accessoires, le jeu de scène…
La représentation théâtrale d'un metteur en scène, si elle apparaît comme une récréation, tend-elle à faire de lui le
deuxième auteur d'une pièce de théâtre ? Jusqu'à quel point ceux qui montent ces œuvres peuvent-ils respecter le texte
en général ? Sur quels éléments repose leur innovation, quelles en sont les limites ?
I/ Le metteur en scène et son statut de deuxième auteur
Le lecteur d'une pièce de théâtre peut, parfois, devenir « public ».
De la sorte, il arrive que ce dernier assiste aux
différentes transformations qui se produisent lors de la transposition de l'œuvre écrite à sa représentation.
À ce titre, il
convient de dire que le public est souvent convié à une double création littéraire et artistique.
Par ailleurs prendre part à
une lecture et assister à une représentation sont deux actes totalement distincts.
En effet, un drame produit sur support
papier reste fixe et c'est la raison pour laquelle il ne reste plus qu'à être reproduit, revisité par le metteur en scène.
Qui
plus est, la représentation peut être véritablement différente de la pièce écrite et faire apparaître le metteur en scène
sous les traits d'un deuxième auteur.
Le metteur en scène (quelque soit son époque) doit, dans une perspective de recréation, respecter le texte.
Pour
se faire, il procède à une lecture approfondie de l'œuvre mais également des didascalies qui indiquent plus ou moins les
attentes de l'écrivain, à des fins de créativité personnelle.
Prenons par exemple la pièce de Shakespeare : Roméo et
Juliette.
N'est-elle pas l'une des pièces qui a subi le plus de transpositions et de transformations ? Il n'en demeure pas
moins que l'essentiel (désiré par le dramaturge) a été préservé.
Il s'agit invariablement de « deux familles, égales en
noblesse, dans la belle Vérone, (…).
Des entrailles prédestinées de ces deux ennemies, a pris naissance, sous des étoiles
contraires, un couple d'amoureux, dont la ruine néfaste et lamentable doit ensevelir dans leur tombe l'animosité de leurs
parents.
Les terribles péripéties de leur fatal amour et les effets de la rage obstinée de ces familles, que peut seule
apaiser la mort de leurs enfants, vont en deux heures être exposés sur notre scène.
» Cette trame est reconstituée
fidèlement jusqu'au film de Baz Lurhmann (1997), pourtant tout le décor a été recréé et la scène transposée dans une
autre époque, véhiculant des mœurs différentes.
C'est pourquoi nous pouvons dire qu'il y a eu de nombreuses
adaptations de la pièce et en conséquence de nombreux auteurs.
Toutefois, ils ont tous un statut de deuxième auteur.
II/ Les indications scéniques ou la difficulté de représenter librement la pièce
Les indications scéniques (ou didascalies) représentent un ensemble d'éléments que le metteur en scène décide
ou non de respecter.
Les didascalies ont pour fonction de signifier aux interprètes le ton à prendre, le geste à faire, la
place à adopter, au cours de la représentation.
Ces indications, comprennent tout ce que l'auteur suggère
indépendamment du texte même qu'il a écrit.
Elles sont plus ou moins abondantes selon les dramaturges.
Notons qu'au
siècle classique et depuis l'Antiquité, les dramaturges sont eux-mêmes les metteurs en scène de leur pièce.
Molière,
comme ce fut le cas de Corneille ou encore de Racine, écrivait dans l'unique dessein de représenter ses pièces sur scène,
de les « rendre présentes ».
Par la suite, ces didascalies ont informé de nouveaux metteurs en scène des intentions de
l'œuvre, limitant ainsi leur intervention scénique.
En outre, les didascalies sont parfois tellement nombreuses que le rôle du metteur en scène s'avère extrêmement
délicat.
En effet, la transposition de l'œuvre sur la scène exige trop de paramètres auxquels il est impossible de répondre.
Le rôle du metteur en scène s'efface donc dans certains cas, notamment dans les pièces de théâtre, dites « pièces à lire »,
qui apparaissent au XIX e siècle.
La difficulté de représenter librement la pièce est alors complète, c'est le cas par exemple
de Lorenzaccio d'Alfred de Musset.
Ce drame en cinq actes, ne connut aucune représentation du vivant de son auteur.
Réputé injouable, ce « spectacle dans un fauteuil » a longtemps découragé les metteurs en scène, aussi bien par son
écriture déroutante que par ses audaces illogiques.
En effet, Lorenzaccio est composé de trente huit scènes, de
changements constants de décors, d'une foule de personnages et de figurants qui ne cessent depuis le XIXe siècle de
poser des difficultés, notamment du point de vue de la liberté scénique.
III/ L'absence d'indications scéniques : le théâtre moderne ou le lieu de prédilection du metteur en scène
Depuis l'origine, le théâtre a pour fonction de créer un lien tangible avec la réalité.
Mais il apparaît que sa fonction
moralisatrice est renforcée au XX e siècle (notons que la catharsis, est un concept imaginé pour la première fois dans la
Poétique d'Aristote).
Prenons l'exemple du théâtre de l'absurde et de tous ces nouveaux genres théâtraux qui étaient en
marche vers la modernité (Artaud, Le théâtre et son double ; Ionesco, Rhinocéros ou La Cantatrice chauve ; Becket, En
attendant Godot ou Fin de partie).
Il semble qu'ils aient pour vocation principale de nous enseigner une conception
particulière de la vie.
Pour autant ils ne présentent aucunes significations tangibles, ils imposent au lecteur et au public
une interprétation, sur laquelle le metteur en scène doit nécessairement travailler.
Dans ce type de pièces, les indications scéniques sont lacunaires, voire inexistantes, en conséquence la
représentation est souvent à l'image du support écrit : vide, parce que vide de toute réalité.
Mais le rôle du metteur en
scène est de reprendre le flambeau de dramaturge, d'exposer également sa vision de la pièce, son ressentiment.
L'invention de la mise en scène moderne s'apparente à l'émergence d'un nouveau statut de la représentation théâtrale.
Le metteur en scène moderne adopte finalement trois positions : celle « d'homme mémoire », celle d'interprète de l'œuvre
et enfin de démiurge.
Il acquiert une nouvelle posture en devenant un auteur à part entière.
Quelle que soit le type de pièces, le metteur en scène se présente le plus souvent comme un deuxième auteur car il
transpose l'œuvre en y insérant toujours une part de lui-mê.
»
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