Que pensez-vous de cette évocation par le poète Auguste Dorchain des héroïnes de Racine? Regardez-les marcher : de leur blancheur vêtues, Elles passent avec des gestes de statues; Elles gardent, ainsi qu'un souvenir du ciel, Jusque dans la douleur le rythme essentiel, Et meurent en chantant, comme de divins cygnes, Sans altérer la paix et la splendeur des lignes...
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Que pensez-vous de cette évocation par le poète Auguste Dorchain des héroïnes de Racine? Regardez-les
marcher : de leur blancheur vêtues, Elles passent avec des gestes de statues; Elles gardent, ainsi qu'un
souvenir du ciel, Jusque dans la douleur le rythme essentiel, Et meurent en chantant, comme de divins
cygnes, Sans altérer la paix et la splendeur des lignes...
Ce jugement est l'exacte contrepartie du jugement de Musset.
Là où Musset voit un défaut, Auguste Dorchain voit
une qualité.
Pour préciser la discussion, il faut commencer par une analyse de ses vers.
La beauté des héroïnes de
Racine est dans leurs gestes de statues, le rythme essentiel, la splendeur des lignes, jusque dans Fa douleur;
l'expression « de leur blancheur vêtues » est sans doute appelée par l'idée de statues, car si l'innocence, la pureté
de cœur d'Andromaque, Junie, Aricie, Iphigénie, Monime évoquent l'idée d'un blanc vêtement, on ne saurait en dire
autant d'Hermione, Roxane, Eriphile.
En quoi consistent ce rythme essentiel, cette splendeur des lignes? L'explication en est donnée, en partie, par 'ce
que nous avons dit du jugement de Musset.
Chez presque tous, à plus forte raison chez une femme, une jeune fille,
le péril, le trouble de l'âme entraînent, dans la vie réelle, le trouble et la confusion des paroles.
Malgré la volonté, la
droiture de l'âme, le geste, la confusion des mots, un silence anxieux trahissent le bouleversement.
Chez Racine tout
obéit, malgré tout, à une discipline d'ordre.
Même chez les plus violentes il reste une sorte de mesure dans le
langage, de dignité dans la colère.
Ce caractère est encore accru par le style de Racine, par la discrétion d'un
vocabulaire d'une extrême simplicité, par la sonorité et le rythme d'un vers qui, même lorsqu'il exprime l'anxiété ou la
fureur, semble chanter harmonieusement.
Dorchain songe d'ailleurs, sans aucun doute, non seulement à la façon dont ces héroïnes s'expriment, mais encore
aux sentiments qu'elles expriment.
Parmi les héroïnes de Racine il y a celles qui sont victimes sans être coupables :
Andromaque, Bérénice, Junie, Aricie, Atalide, Iphigénie, Monime.
Elles pourraient être faibles, gémissantes,
désemparées ou même révoltées ou prostrées; rien chez elles de ces attitudes romantiques; elles gardent toujours
une certaine maîtrise d'elles-mêmes, une certaine dignité dans la douleur, une certaine pudeur de leurs sentiments;
elles semblent craindre la laideur des cris et des convulsions.
Même les violentes semblent longtemps capables de
contenir leur violence ; et leur fureur ne se trahit à l'ordinaire qu'en paroles brèves, non en imprécations
tumultueuses.
Tout ce que nous venons de dire justifierait la façon dont Dorchain admire les héroïnes de Racine.
Et vous pourriez
être d'accord avec lui.
Mais il y a toujours lieu d'examiner, même si on ne la retient pas, l'opinion contradictoire.
La
tragédie de Racine pourrait-elle avoir une valeur véritablement dramatique si elle n'était peuplée que de statues; et
pourrions-nous être émus par des personnages uniquement soucieux de ne pas altérer la paix et la splendeur des
lignes? En réalité, il y a autre chose, chez Racine.
C'est ce qu'on a pu appeler son réalisme que l'art revit sans
l'altérer.
Les héroïnes peuvent s'exprimer comme « de divins cygnes »; ce qu'elles éprouvent est profondément
humain.
L'explication sera donnée, d'une part, par le goût contemporain, par la conception d'une tragédie ordonnée et
oratoire que ce goût impose à tous; d'autre part, par le génie personnel de Racine, qui a créé à la fois son art
harmonieux et sa psychologie humaine et vivante..
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