Quelles sont, dans la pièce que vous avez étudiée cette année (Antigone de Jean Anouilh), les relations entre le mythe et le tragique ?
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«
[Introduction]
Les relations entre le mythe et le tragique remontent à la nuit des temps, puisqu'il semble que les mythes aient été
inventés pour apporter des réponses aux questions angoissantes que les hommes se posent sur leur condition.
Aussi
des grands tragiques grecs aux auteurs contemporains en passant par les classiques, les dramaturges ont-ils
constamment puisé dans le large éventail de situations et de personnages fourni par la mythologie pour répondre
aux préoccupations de leur temps.
Quand Anouilh s'inspire du mythe d'Antigone en 1944, il reprend certaines
données tragiques du mythe, mais il propose aussi une définition du tragique et il invente un tragique moderne.
[I.
Les données tragiques du mythe]
[1.
La mort d'Antigone]
Le mythe raconte d'abord un événement tragique, la mort d'une jeune fille, et une mort particulièrement horrible,
puisque, pour ne pas souiller la ville de Thèbes par le sang de la « criminelle », Créon condamne Antigone est mourir
lentement de faim en la faisant murer vive dans son tombeau.
Dans la tragédie de Sophocle, lorsqu'elle fait ses
adieux à la vie lors de sa dernière apparition sur scène, l'angoisse de la mort est renforcée par le regret touchant
d'une existence « normale », d'épouse et de mère : « Et je n'aurai connu ni le lit nuptial ni le chant d'hyménée ; je
n'aurai pas eu, comme une autre, un mari, des enfants grandissant sous mes yeux ; mais, sans égards, abandonnée
des miens, misérablement, je descends, vivante, au séjour souterrain des morts ».
Bien que toute traduction soit
une trahison, nous restons sensibles au pathétique de l'antithèse « vivante » / « morts ».
[2.
L'acte d'Antigone]
Antigone est condamnée à cette mort atroce par Créon pour avoir désobéi aux ordres du roi en jetant quelques
pelletées de terre sur le corps de son frère Polynice.
Cet acte lui a été inspiré par le respect de la loi divine, qui
seule compte à ses yeux.
Elle transgresse ainsi la loi écrite, pour accomplir la loi non écrite, qui recommande aux
vivants d'ensevelir leurs morts, car l'âme d'un mort sans sépulture est condamnée à errer pendant cent ans avant
de pouvoir franchir le seuil des Enfers et de connaître le repos éternel.
Se révoltant contre une loi qu'elle juge
inique, Antigone désobéit sciemment aux ordres de Créon et, qui plus est, elle récidive.
Dans la tradition mythique,
le conflit tragique provient de l'affirmation du sacré contre la raison d'État.
Anouilh n'a gardé que la raison d'État.
[3.
La pureté d'Antigone]
Dans le mythe, Antigone représente enfin la pureté.
Issue de l'union incestueuse d'Œdipe avec sa propre mère
Jocaste, elle rachète par son amour pour son frère Polynice les fautes de ses parents, victimes d'une malédiction
divine.
La ville de Thèbes, souillée par les crimes d'Œdipe, fils incestueux et parricide, a d'abord été purifiée par la
punition qu'Œdipe s'inflige en se crevant les yeux.
Mais ensuite elle est endeuillée par la rivalité des deux frères,
Etéocle et Polynice, et la guerre qu'ils ont provoquée.
Antigone lave cette nouvelle souillure par son geste.
Vierge et
pure, sacrifiant délibérément son bonheur à son frère, elle est tout amour : « Je suis née non pour haïr, mais pour
aimer », affirme-t-elle dans la tragédie de Sophocle.
[II.
Une définition du tragique]
Anouilh retient donc du mythe un aspect douloureux de la condition humaine, le sacrifice volontaire d'une jeune fille
se dévouant à une cause qui la dépasse.
Aussi n'est-ce pas par hasard qu'il donne dans Antigone une définition de
la tragédie et une représentation du héros tragique.
[1.
La tragédie]
Commentant, un peu avant le milieu de la pièce, la progression de l'action, le Chœur annonce : « Maintenant le
ressort est bandé.
Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul.
[...] Cela roule tout seul.
C'est minutieux, bien huilé
depuis toujours ».
L'image du ressort, la métaphore filée de la machine (« roule », « huilée »), le rapprochement de
deux verbes de la même famille (« dérouler », « roule »), tout suggère un mouvement inéluctable : pour Anouilh, le
tragique est la mise en marche d'une fatalité.
Or, dans une pièce inspirée d'un mythe tragique comme Antigone, le
spectateur sait dès le lever du rideau que rien ni personne n'empêchera Antigone d'accomplir son destin.
Voilà pourquoi la tragédie s'oppose au drame.
Pour Anouilh, elle relève du domaine de l'essence, tandis que le drame
relève de celui de la contingence.
Le drame, avec son manichéisme (les traîtres d'un côté, les « terre-neuve » de
l'autre), produit le pathétique en faisant passer le public par des alternatives d'anxiété et d'espoir.
Au contraire,
dans la tragédie, on sait « qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos ».
La
familiarité de la comparaison avec le rat et de l'expression qui rappelle le poids de la fatalité accentuent le réalisme
de l'image d'un piège mortel.
Comme « la machine infernale » de Cocteau, le piège tragique d'Anouilh est mis en
place pour provoquer l'anéantissement calculé d'un mortel.
[2.
Le héros tragique]
Le conflit tragique oppose dans Antigone une jeune fille qui a bravé les ordres du roi et un roi, Créon, qui ne
demande pourtant qu'à la sauver, car elle est aussi sa nièce et la fiancée de son fils : « Je t'aime bien tout de même
avec ton sale caractère », dit Créon.
Il lui suffirait pour cela de faire disparaître les gardes, témoins de l'acte de
transgression.
Mais Antigone refuse, au nom d'un amour de l'absolu qu'elle porte en elle et qu'elle veut préserver,
même au prix de sa vie.
Au-delà du conflit avec « l'autre », Antigone est en proie à un conflit interne : entre la vie
rêvée et la vie réelle, entre la soif d'absolu et le constat des mesquineries de la vie quotidienne sur lesquelles le.
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