RACINE: Phèdre, Acte I scène 3
Extrait du document
«
Nombreux sont les écrivains qui, avant Racine, ont abordé la légende de l'amour interdit entre le jeune
Hyppolite et sa belle-mère, Phèdre.
Sénèque, Garnier, ou même Euridipe avant eux, plaçaient alors Hyppolite au
premier plan de la tragédie.
L'originalité de la pièce de Racine réside donc dans le fait qu'il mette Phèdre au devant
de la scène comme en témoigne le titre de l'oeuvre.
La tragédie met l'accent sur une figure féminine torturée par un
amour impossible parce qu'immoral.
En effet, Phèdre s'éprend d'Hyppolite, fils de Thésée, son mari.
Cet amour
incestueux la submerge tant qu'elle se laisse doucement mourir.
Dans cette scène, Oenone, sa nourrice, tente de
connaître le mal qui la ronge, la tue.
C'est sous cette pression quasi « maternelle » que Phèdre fait l'aveu de son
amour, cet amour indicible qu'elle cache depuis si longtemps.
Mais dans quelles mesures l'expression de l'amour
interdit que Phèdre voue à Hyppolite fait elle de ce passage une tirade véritablement tragique à l'image de ce que
doit être une tragédie exemplaire? Pour y répondre, nous étudierons les manifestations de la passion interdite de
Phèdre puis l'inexorabilité de cet amour et enfin nous expliquerons la qualité exemplaire de cette tirade dans la
tragédie.
Phèdre est prisonnière d'un amour qu'elle estime contre-nature et qui la détruit.
L'aveu qu'elle en fait dans ce
passage à sa confidente Oenone est empreint de tous les paradoxes propres à l'amour passionnel qui témoignent du
désordre amoureux.
La manifestation est d'abord physiologique.
Phèdre est victime physiquement de son amour et les signes
sont évidents dès le premier vers : « je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ».
Ce tétramètre renferme une succession
de couleurs oxymoriques, le rouge et le blanc,
accentuées par une allitération en « i » qui mettent en relief
l'intensité de l'amour et la puissance, le pouvoir, du regard.
Le trouble est si profond que Phèdre passe d'un état à
son contraire de manière quasi instantanée, instantanéité que traduisent les trois passés simples successifs du vers.
L'intensité de l'amour et donc du trouble est encore présente dans la perte des sens : « mes yeux ne voyaient plus,
je ne pouvais parler ».
La double négation renforce l'idée de l'incapacité de Phèdre à se contrôler, le désir est trop
fort pour elle.
D'ailleurs, le sujet de « voyaient » est bien le groupe nominal « mes yeux » et non pas Phèdre ellemême.
Il y a donc une dépossession de sa propre personne, elle ne décide plus de rien, elle est comme aliénée.
Les manifestations ambivalentes, paradoxales du vers 273 sont reprises et appuyées : « je sentis tout mon
corps et transir et brûler » (vers 276).
Les métaphores qui consistent à associer l'amour au feu et la peur à la glace
prennent ici leur sens premier ; outre les images qu'elles évoquent, elles traduisent ici toutes la vivacité des
sentiments incontrôlables et les sensations antithétiques qu'ils dégagent.
Le dérèglement physique est si fort que
l'amour est comparé à une « incurable » maladie (vers 283), on parle de « remèdes impuissants».
Le trouble atteint
le domaine médical, il ne faut pas oublier que Phèdre est entre la vie et la mort quand elle fait cet aveu.
Telle la
gangrène, l'amour s'est insinué en elle et la tue a petit feu.
C'est un amour oppressant, on remarque d'ailleurs le
soulagement de Phèdre lors de l'exil d'Hyppolite : en son absence « je respirais » confie Phèdre à Oenone.
La
présence du jeune homme l'empêchait donc de respirer, son amour pour lui l'oppressait.
Mais les troubles de Phèdre sont aussi moraux.
« je rougis » (vers 273) traduit bien l'intensité de l'amour,
mais c'est aussi un synonyme de honte.
C'est en effet un amour honteux qui a saisis Phèdre, un amour interdit car
incestueux.
Le sentiment de honte se traduit par la perte son moi, perte surtout de sa raison : « mon âme
éperdue ».
Phèdre est trop bouleversée, trop amoureuse pour réussir à se raisonner.
De plus, cet amour est
ascendant, « un trouble s'éleva ».
L'amour de Phèdre pour le fils de Thésée continue de croître malgré tout, mais
l'utilisation du passé simple montre également que la naissance de cet amour fut instantanée, ce fut un coup de
foudre.
Tout se passe comme si une foudre divine s'était abattue sur Phèdre, elle n'en serait alors pas responsable.
C'est peut être également pour cela que Phèdre est si désemparée : « je cherchais dans leurs flancs ma raison
égarée ».
Cette antithèse entre « cherchais » et « égarée » met encore en relief l'aliénation mentale de Phèdre, son
trouble est immense et elle n'arrive pas à en sortir.
Outre les troubles quasi maladifs de Phèdre que sont les incidences de son amour sur son physique et sur
son « âme », les manifestations de l'amour passent aussi par l'élévation d'Hyppolite sur un piédestal.
Hyppolite est
l'objet d'un paradoxe découlant du profond désordre amoureux de Phèdre : il est à la fois « ennemi » et « idole ».
Phèdre en est amoureuse et l'idolâtre , pourtant, le peu de raison qui lui reste le hait et le considère comme un
ennemi.
L'amour semble tout de même s'imposer et Hyppolite est mêlé, dans les paroles de Phèdre, au champ lexical
de la religion : « adorais », « J'offrais tout à ce dieu ».
Hyppolite est déifié, il est tout puissant aux yeux de celle qui
l'aime.
Pourtant cette déification entraîne une étrange association : la passion contre-nature de Phèdre passerait
presque pour un amour religieux !
Phèdre avoue son amour et décrit tous les manifestations qui en découlent.
Elle est torturée, affaiblie,
pourtant Phèdre tente de se battre contre un amour impossible..
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