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Regrets sur ma vieille robe de chambre ou avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune par Denis DIDEROT

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Regrets sur ma vieille robe de chambre ou avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune par Denis DIDEROT ~~~~ Pourquoi ne l'avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j'étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j'étais pittoresque et beau. L'autre, raide, empesée, me mannequine. Il n'y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât ; car l'indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s'offrait à l'essuyer. L'encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu'elle m'avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l'écrivain, l'homme qui travaille. A présent, j'ai l'air d'un riche fainéant ; on ne sait qui je suis. Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d'un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l'eau. J'étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l'esclave de la nouvelle. Le dragon qui surveillait la toison d'or ne fut pas plus inquiet que moi. Le souci m'enveloppe.

« Le titre, avec le mot clé regrets, donne le ton : c'est avec mélancolie que Diderot évoque un vêtement longtemps porté, dans lequel il était parfaitement à l'aise. La symétrie des deux membres de la deuxième phrase le prouve : Elle était faite à moi ; j'étais fait à elle.

Cette symétrie, renforcée par l'emploi constant de la parataxe, se retrouve dans les oppositions entre la vieille robe de chambre et la nouvelle, mais ces deux vêtements représentent deux périodes distinctes de la vie de l'auteur, le présent et le passé.

Or l'abondance des imparfaits indique clairement que le regret d'un passé révolu où il pouvait porter les vêtements de son choix se confond avec la nostalgie du plébéien embourgeoisé.

La mélancolie suscite souvent des réflexions désabusées, et notre philosophe ne s'en prive pas.

Il émaille ses propos d'un aphorisme* sur la pauvreté : l'indigence est presque toujours officieuse, s'interroge sur les liens entre l'être et le paraître (on ne sait qui je suis), exprime, sur l'inquiétude liée à toute possession, une réflexion qui rejoint la morale de la fable du savetier et du financier (La Fontaine) et renchérit sur ce sentiment dans les deux dernières phrases.

Voilà que la belle robe de chambre offerte par l'impératrice Catherine II est comparée à la toison d'or et son (malheureux) propriétaire au dragon préposé à la garde de cet objet mythique.

Loin de lui procurer du plaisir ou même du confort, la nouvelle robe de chambre lui a ravi sa tranquillité d'esprit.

Dans une phrase laconique, la comparaison se résout en métaphore : Le souci m'enveloppe.

Le recours au mythe évoque ainsi un aspect de la condition humaine : notre dépendance vis-à-vis de nos trésors. Ainsi Diderot aurait pu adopter le ton sentencieux ou le ton larmoyant : il a su éviter ce double écueil grâce à l'humour dont il émaille ses propos.

Car enfin, un objet aussi mince qu'une vieille robe de chambre, même tendrement chérie, ne saurait exciter une mélancolie vraiment profonde, d'où le refuge dans l'humour.

Le choix des mots nous fait sourire, qu'il utilise un hapax comme le verbe mannequine, qui suggère la raideur d'une poupée articulée, ou qu'il s'avantage en alliant deux épithètes flatteuses : j'étais pittoresque et beau.

Parmi les figures de style, relevons les exagérations soulignées par l'antithèse (l'homme qui travaille/le fainéant, le maître absolu/l'esclave) ou par l'énumération (ni la maladresse d'un valet...).

L'humour apparaît enfin dans la constante personnification de la robe de chambre : la plupart des verbes dont elle est le sujet expriment des initiatives réservées d'ordinaire aux personnes (un de ses pans s'offrait à l'essuyer, elle présentait le flanc, les fréquents services qu'elle m'avait rendus). C'est la prédominance de l'humour qui permet de définir cette page comme un excellent échantillon de badinage spirituel.. »

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