Regrets sur ma vieille robe de chambre ou avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune par Denis DIDEROT
Extrait du document
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Le titre, avec le mot clé regrets, donne le ton : c'est avec mélancolie que Diderot évoque un vêtement longtemps
porté, dans lequel il était parfaitement à l'aise.
La symétrie des deux membres de la deuxième phrase le prouve : Elle était faite à moi ; j'étais fait à elle.
Cette
symétrie, renforcée par l'emploi constant de la parataxe, se retrouve dans les oppositions entre la vieille robe de
chambre et la nouvelle, mais ces deux vêtements représentent deux périodes distinctes de la vie de l'auteur, le
présent et le passé.
Or l'abondance des imparfaits indique clairement que le regret d'un passé révolu où il pouvait
porter les vêtements de son choix se confond avec la nostalgie du plébéien embourgeoisé.
La mélancolie suscite
souvent des réflexions désabusées, et notre philosophe ne s'en prive pas.
Il émaille ses propos d'un aphorisme* sur la
pauvreté : l'indigence est presque toujours officieuse, s'interroge sur les liens entre l'être et le paraître (on ne sait qui
je suis), exprime, sur l'inquiétude liée à toute possession, une réflexion qui rejoint la morale de la fable du savetier et
du financier (La Fontaine) et renchérit sur ce sentiment dans les deux dernières phrases.
Voilà que la belle robe de
chambre offerte par l'impératrice Catherine II est comparée à la toison d'or et son (malheureux) propriétaire au dragon
préposé à la garde de cet objet mythique.
Loin de lui procurer du plaisir ou même du confort, la nouvelle robe de
chambre lui a ravi sa tranquillité d'esprit.
Dans une phrase laconique, la comparaison se résout en métaphore : Le souci
m'enveloppe.
Le recours au mythe évoque ainsi un aspect de la condition humaine : notre dépendance vis-à-vis de nos
trésors.
Ainsi Diderot aurait pu adopter le ton sentencieux ou le ton larmoyant : il a su éviter ce double écueil grâce à l'humour
dont il émaille ses propos.
Car enfin, un objet aussi mince qu'une vieille robe de chambre, même tendrement chérie, ne
saurait exciter une mélancolie vraiment profonde, d'où le refuge dans l'humour.
Le choix des mots nous fait sourire, qu'il
utilise un hapax comme le verbe mannequine, qui suggère la raideur d'une poupée articulée, ou qu'il s'avantage en
alliant deux épithètes flatteuses : j'étais pittoresque et beau.
Parmi les figures de style, relevons les exagérations
soulignées par l'antithèse (l'homme qui travaille/le fainéant, le maître absolu/l'esclave) ou par l'énumération (ni la
maladresse d'un valet...).
L'humour apparaît enfin dans la constante personnification de la robe de chambre : la plupart
des verbes dont elle est le sujet expriment des initiatives réservées d'ordinaire aux personnes (un de ses pans s'offrait
à l'essuyer, elle présentait le flanc, les fréquents services qu'elle m'avait rendus).
C'est la prédominance de l'humour qui permet de définir cette page comme un excellent échantillon de badinage
spirituel..
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