Roland Dorgelès, Les croix de bois
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Roland Dorgelès (1886-1973), Les croix de bois (1919)
Il me semble que ma vie entière sera éclaboussée de ces mornes horreurs, que ma mémoire salie ne pourra jamais oublier. je ne pourrai plus jamais regarder un bel arbre sans supputer le poids du rondin, un coteau sans imaginer la tranchée à contre-pente, un champ inculte sans chercher les cadavres. Quand le rouge d'un cigare luira au jardin, je crierai peut-être : " Eh ! le ballot qui va nous faire repérer ! ... " Non, ce que je serai embêtant, avec mes histoires de guerre, quand je serai vieux ! Mais serai-je jamais vieux ? On ne sait pas...
Mourir ! Allons donc ! Lui mourra peut-être, et le voisin et encore d'autres, mais soi, on ne peut pas mourir, soi... Cela ne peut pas se perdre d'un coup, cette jeunesse, cette joie, cette force dont on déborde. On en a vu mourir dix, on en verra toucher cent, mais que son tour puisse venir, d'être un tas bleu dans les champs, on n'y croit pas.
Liens utiles
- Roland Dorgelès, Bleu Horizon, Albin Michel, 1949
- Madame Roland - Mémoires
- René-François SULLY PRUDHOMME (1839-1907) (Recueil : Les solitudes) - Silence et nuit des bois
- Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Sagesse) - Tournez, tournez, bons chevaux de bois
- La Chanson de Roland