Rousseau écrit dans une lettre du 4 novembre 1764: On ne peut être heureux sur la terre qu'à proportion qu'on s'éloigne des choses et qu'on se rapproche de soi. Vous expliquerez et vous apprécierez, en prenant quelques appuis précis sur ses oeuvres, cette solution apportée par Rousseau au problème du bonheur ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION
« On ne peut être heureux sur la terre qu'à proportion qu'on s'éloigne des
choses et qu'on se rapproche de soi».
Cette formule que Rousseau écrivait en
1764 dans une lettre exprime certainement une de ses hantises.
C'est la
pensée d'un homme désabusé, qui, treize ans avant de composer les
Rêveries, semble déjà « commencer à quitter sa dépouille » et à tourner vers
un autre monde ses espérances de bonheur.
Encore affirmera-t-il dans les
Rêveries qu'il lui est parfois arrivé de « se suffire à soi comme Dieu ».
Ici au
contraire les expressions « ne...
que...
à proportion » montrent qu'il renonce à
posséder un tel bonheur « sur la terre » : tout au plus espère-t-il en
approcher.
Il sent que ces formules si simples « s'éloigner des choses », « se
rapprocher de soi » recouvrent une grande vérité, mais aussi une immense
difficulté.
Cette vérité, cette difficulté, l'œuvre de Rousseau les approfondit
presque à chaque page.
En dressant une sorte de bilan des expériences qu'il
nous confie, on pourra préciser ce que signifie et peut-être ce que vaut ce
double principe.
I.
EXPLICATION DE LA THÈSE DE ROUSSEAU
S'éloigner des choses « S'éloigner des choses », c'est bien ce que fait J.-J.
Rousseau à l'île Saint-Pierre, où il se donne « le plaisir de ne rien déballer »
pour vivre « comme dans une auberge » dont il aurait « dû partir le lendemain ».
« Un de mes plus grands délices,
écrit-il, était surtout de laisser toujours mes livres bien encaissés...
» Quelques années plus tôt, il avait déjà par sa
« réforme » retranché de sa vie tout luxe superflu : « plus d'épée, plus de montre, plus de bas blancs, de dorure, de
coiffure ».
On songe aux épicuriens antiques, qui cherchaient le plaisir dans la frugalité ; aux stoïciens, voire à ces
ascètes chrétiens, pour qui le détachement à l'égard des choses du monde est la condition nécessaire, sinon
suffisante, de la paix intérieure.
Le « généreux » de Descartes, lui aussi, connaît la joie parce qu'il dénie toute
importance à ce qui ne touche pas sa responsabilité morale.
C'est dans cette tradition qu'il faut comprendre le mot
« choses » : « Je quittai le monde et ses pompes», écrit Rousseau dans sa IIIe Promenade; et il précise : « choses
extérieures », « fortune » « honneurs », « parures », « places ».
Mais s'éloigner des choses, ce n'est pas aller d'un point à un autre, c'est se modifier soi-même.
Car les racines de
nos attachements sont en nous : l'avarice, la sensualité, la curiosité, et surtout cet auxiliaire secret des servitudes
sociales, l'amour-propre.
C'est sur ce point que Rousseau eut le plus à lutter.
Au lendemain du Devin de village il pouvait devenir l'idole des salons et de la cour : les Confessions racontent par
quel sursaut il trancha ce lien de la « gloriole » et se déroba, « à tout risque », à l'entrevue que lui réservait le roi.
Mais son public le « tenait » par un lien plus profond que la gloriole : il avait de grandes vérités à dire aux hommes, il
voulait en être écouté, et écouté avec confiance ; aussi lui fallait-il être fidèle jusque dans les «petites choses» au
personnage incorruptible qu'il avait choisi d'être : ce biais le ramenait aux petites servitudes du « paraître ».
Puis ce
furent celles de la persécution, quand il sentit que les Encyclopédistes cherchaient, en le déshonorant, à discréditer
ses idées : il se tint plusieurs années à l'affût des menus indices qui lui auraient permis, pensait-il, de démasquer le
complot universel.
Son attention reste ainsi tendue vers les « choses » jusqu'au jour où, à bout de résistance, il se
découvre détaché de tout, indifférent à ce qu'on pourra dire de lui, prêt à vivre enfin pour lui seul.
L'« amour-propre
» l'a quitté, libérant en lui « l'amour de soi ».
Son bonheur retrouvé s'épanche dans les pages lumineuses des
Rêveries.
S'approcher de soi Détaché, rendu à soi, Rousseau est heureux.
De quoi est fait ce bonheur ? D'abord de
l'indépendance, que Rousseau ressent comme une joie avant même de savoir quel usage il en fera : la IIIe lettre à
Malesherbes évoque le « battement de cœur », le « pétillement de joie » qui le saisissent lorsqu'il peut se dire : «
me voilà maître de moi pour le reste de ce jour ».
Mais le plus souvent Rousseau donne à sa liberté un contenu plus
tangible.
Il cherche à jouir de son être, en exerçant selon leur pente naturelle toutes ses facultés, en laissant libre
cours 'à ses goûts : la promenade, la botanique, mille formes de rêverie.
« Jamais je n'ai tant pensé, tant existé,
tant vécu, tant été moi...» Cette intensité d'existence, qu'il connut jadis dans ses voyages, reste pour lui l'essence
du bonheur.
Et sur ce point il n'a guère de précurseur dans l'Antiquité, moins encore dans le christianisme : ce
bonheur « égotiste », il n'y avait sans doute que Montaigne qui eût osé le donner en exemple, dans ses Essais des
Trois Commerces, de ménager sa Volonté et de l'Expérience.
Rousseau va plus loin : non seulement par son isolement farouche, mais surtout par l'extrême dénuement intérieur
auquel il aboutit.
Déjà il notait dans les Confessions que son bonheur aux Charmettes « n'était dans aucune chose
assignable » et n'avait « d'autre objet que ce sentiment même ».
Dans les Rêveries il approfondit ce paradoxe à
partir d'une autre expérience : celle des longues heures inactives passées au bord de l'eau à l'île Saint-Pierre ; et il
propose comme bonheur suprême un « état simple et permanent », où le « sentiment de l'existence » est « dépouillé
de toute autre affection », où l'on ne jouit « de rien d'extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre
existence ».
Dans ces pages enchantées et tranquilles le double précepte de Rousseau semble aboutir à une réussite achevée.
Mais ce n'est qu'une apparence, et Rousseau lui-même le sent.
A regarder de plus près ses confidences, on y
découvre certaines équivoques, qui pourront donner à réfléchir sur les présages fondamentaux de sa conception du
bonheur.
II.
DISCUSSION DE LA THÈSE.
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