Rousseau: On fait apprendre les fables de La Fontaine aux enfants. Il n'y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les entendraient, ce serait encore pis, car la morale en est tellement mêlée et disproportionnée à leur âge, qu'elle les porterait au vice plus qu'à la vertu. qu'en pensez-vous ?
Extrait du document
«
La morale de La Fontaine a été attaquée par Lamartine et par Rousseau.
Le
premier se réfère à ses souvenirs d'enfance : Ces histoires d'animaux...
égoïstes, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous,
me soulevaient le coeur.
Les fables de La Fontaine sont plutôt la philosophie
dure, froide et égoïste du vieillard, que la philosophie aimante, généreuse,
naïve et bonne d'un enfant.
Rousseau dans L'Émile fait un véritable
réquisitoire, en prenant comme exemple le corbeau et le renard....
I.
Les enfants ne comprennent pas les fables, dit-il.
Elles sont, en effet, parfois difficiles (termes vieillis, tours poétiques, etc.).
Il
faut choisir et expliquer, et malgré toutes les explications, ils ne
comprendront pas tout; bien des beautés leur échapperont : La Fontaine est
artiste et poète.
Mais ils s'intéresseront à l'histoire : la fantaisie n'est pas une
difficulté, au contraire.
Rousseau prétend qu'il faut dire la vérité nue aux
enfants', sitôt qu'on la couvre d'un voile, ils ne se donnent plus la peine de le
lever.
On peut le lever pour eux, et sans être dupes de la fiction qui les
amuse, ils saisissent parfaitement la leçon qui s'en dégage, mieux que s'il
s'agissait d'histoires vraies.
(Le Renard et le Bouc, Crassus et les Parthes,
préface.)
II.
Est-il funeste qu'ils comprennent ?
1.
La morale est mêlée.
C'est vrai, il y a des conseils équivoques.
(Soyons bien vivants, bien mangeants...
Notre ennemi, c'est notre
maître.) Mais le maître est là pour choisir, corriger et expliquer.
Il y a d'ailleurs des moralités qui sont de simples
constatations.
L'enfant est très capable de distinguer : sa sympathie va à l'agneau et non au loup.
2.
Est-elle disproportionnée à leur âge ?
Il faut dire, au moins, qu'elle n'est pas parfaitement adaptée.
C'est la morale de l'expérience, et les enfants sont
naïfs, ils croient facilement le bien.
La Fontaine leur montre les mauvais côtes de l'existence, il les met en garde
contre les pièges qu'ils ne soupçonnent pas, il leur apprend le goût du travail, les avantages de l'union, etc.
On peut donc continuer à donner les fables aux enfants.
Elles ne les porteront pas sans doute au désintéressement,
mais elles ne les porteront pas non plus au vice et ils y trouveront des leçons qui ne sont pas à dédaigner.
Nous
n'avons d'ailleurs qu'à nous rappeler nos impressions d'enfant..
»
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