ROUSSEAU - Rêveries du promeneur Solitaire - Septième Promenade.
Extrait du document
«
A la fin de sa vie, Rousseau cherche à donner l'impression de la sérénité
retrouvée après de longs dérèglements et d'une paisible préparation à la mort,
se présente « comme un navigateur entrant au port après avoir échappé au
naufrage et s'abandonnant désormais, la tempête apaisée, au doux ^bercement
des flots ».
Il feint de croire que le temps de « penser assez profondément » est
pour lui passé et ne veut plus que s'adonner à la rêverie et à la botanique.
.
Des
dix promenades qui constituent le dernier livre, inachevé, de Rousseau, les
Rêveries du promeneur solitaire, la septième, entièrement consacrée à la
botanique et à ses plaisirs est l'une des plus développées, montrant bien ainsi le
lien qui existe entre ces deux occupations de l'écrivain dans ses derniers mois.
Mais c'est aussi la rêverie après laquelle Rousseau s'arrête pour un temps
d'écrire — il ne reprendra son ouvrage qu'au printemps suivant — car peu à peu,
l'un des divertissements prend le pas sur l'autre, la botanique devenant la seule
occupation pendant la belle saison et empêchant toute autre activité : « le
recueil de mes longs rêves est à peine commencé, et déjà je sens qu'il touche à
sa fin.
Un autre amusement lui succède, m'absorbe, et m'ôte même le temps de
rêver ».
Ainsi commence cette septième promenade.
Il fallait donc que le goût de Jean-Jacques pour la botanique fût bien puissant
pour le soustraire ainsi aussi bien à son inquiétude naturelle qu'à son travail.
C'est ce qui transparaît dans le texte que nous examinons et où Rousseau, avec
enthousiasme et lyrisme expose les raisons qui le poussent à répondre ainsi à
l'invitation de la Nature.
* * *
La première ferveur de Rousseau pour la botanique date du temps, heureux entre tous à ses yeux, qu'il avait passé
dans l'île Saint-Pierre du lac de Bienne et qu'il évoque magnifiquement dans la cinquième Rêverie.
Ce « goût qui devint
bientôt une passion », il n'a cessé durant les quinze dernières années de sa vie de le reprendre épisodiquement sans
jamais l'abandonner bien longtemps.
Même à Paris, il trouve le moyen d'herboriser, et quand la mort le prend à
Ermenonville cela fait quelques mois que cette activité était devenue son unique occupation.
D'où lui vient cette prédilection pour le règne végétal? D'une part sans doute de ce qu'il apparaît comme « la robe de
noces » de la campagne, de ce que « les arbres, les arbrisseaux, les plantes sont la parure et le vêtement de la terre »
et que d'autre part, l'étude des deux autres règnes ne le tente guère : le règne minéral ne possède à ses yeux rien
d'aimable ni d'attrayant, le règne animal au contraire offre dans sa richesse infinie et son attrait sans bornes trop de
difficultés à être étudié par un amateur comme l'est alors Rousseau : on est trop condamné à choisir entre le jardin
zoologique et la table de dissection et Jean-Jacques ne souhaite pas davantage garder des cages et des volières que
manier le scalpel.
Mais à vrai dire, sa propre raison elle-même n'apprend guère à l'écrivain pourquoi ce penchant l'attire
quand bien même elle lui prescrit de s'y livrer parce qu'il l'attire.
Sans doute est-ce la simplicité de l'entreprise qui l'a d'abord séduit : contrairement à l'astronomie qui nécessite « des
connaissances préliminaires, des instruments, des machines, de bien longues échelles », l'étude des plantes n'a besoin
que d'un fort simple appareil : « une pointe et une loupe ».
Encore devine-t-on que cela n'est même pas indispensable.
Mais si les astres comme les plantes invitent l'homme à l'étude de la nature, la comparaison avec l'astronomie montre
que c'est aussi la proximité des plantes, leur présence immédiatement sensible qui rend la botanique si séduisante.
Ici
l'art d'écrivain de Rousseau souligne à plaisir l'opposition grâce à un procédé stylistique qu'il affectionne : l'évocation
des astres et de leur étude occupe une longue phrase, dans laquelle quatre conditions sont nécessaires (dont de «
bien longues échelles ») pour deux choses : « les atteindre et les rapprocher »; encore ce dernier verbe est-il
agrémenté d'un complément dont la nécessité n'est pas évidente : « à notre portée ».
La phrase évoquant les plantes
au contraire ne saurait être plus brève ou plus simple; de plus elle emploie le verbe le plus général, être, celui qui
indique entre autres la présence permanente d'une qualité dans les choses; les plantes sont là, tout naturellement à
notre portée comme dans la phrase rien ne sépare le complément de lieu, y (mis pour « à notre portée ») du sujet
plante tandis que « les astres » sont séparés de ce même complément par toute l'étendue de la phrase, par tous les
moyens nécessaires à leur rapprochement.
Mais cette occupation si simple procure alors « le plein calme des passions...
qui suffit seul...
pour rendre la vie
heureuse et douce ».
Si l'on voulait être pédant et faire référence à Épicure ou à Montaigne, on pourrait indiquer qu'il
s'agit là de la notion d'ataraxie, mot à mot d'absence de trouble dans laquelle réside pour ces philosophes la possibilité
du bonheur; mais Rousseau lui-même a longuement développé dans les Rêveries ces notions : « Il faut, dit-il, que le
cœur soit en paix et qu'aucune passion n'en vienne troubler le calme...
Il m'y faut ni un repos absolu, ni trop
d'agitation, mais un mouvement uniforme et modéré qui n'ait ni secousses ni intervalles.
» (Cinquième Rêverie).
C'est
précisément le cas de cette « oiseuse occupation » qu'est la botanique; cette expression mérite une explication : de
nos jours, l'adjectif oiseux ne s'emploie plus qu'en parlant' de choses inutiles ou sans intérêt; mais dans la langue
classique qu'emploie Rousseau, oiseux avait bien plutôt le sens de paresseux, d'inactif et s'appliquait fort bien à des
personnes; on voit donc que c'est à dessein que Rousseau associe deux mots en quelque sorte contradictoires,
soulignant par là le caractère éminemment particulier qu'a pour lui cette occupation.
En un mot, elle est pour lui, au
même titre que la rêverie ou la composition musicale un délassement certes, mais aussi : un divertissement au sens
fort et pascalien du mot dans la mesure où elle le détourne du sentiment malheureux d'être persécuté; dans les
Confessions.
Rousseau appelle ces occupations des « suppléments » c'est-à-dire des illusions délibérément cultivées.
La botanique est donc l'occupation simple et sereine d'un homme simple et serein : comme le dit notre texte : « il erre.
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