Selon Pierre-Henri Simon, « l'exploitation moderne des mythes antiques » se fait généralement de la façon suivante: l'auteur moderne cherche à «y trouver, pour l'intelligence de l'homme du xxe siècle, un prétexte de réflexion et un jeu de symboles, en l'amusant d'ailleurs par la virtuosité de la transposition » (Théâtre et destin, 1959).
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.. »). De même, la matrone, femme du peuple de Thèbes, utilise le
registre familier.
Usuel depuis que le drame romantique a aboli la classique séparation des genres
au nom du naturel, le mélange des genres reste discret. Le spectateur sourit
certes de la suffisance du chef qui écrase le simple soldat de sa supériorité ou
du tact de Tirésias qui « traduit » habilement les paroles du soldat si peu
flatteuses pour la reine. Mais le rire devient grinçant quand Jocaste s'obstine
à affubler Tirésias du surnom grotesque de Zizi : ce manque de considération
envers l'interprète des dieux est lourd de menaces, car Jocaste a tort et de se
moquer de Tirésias, et de négliger ses avis. Tandis que d'autres dramaturges
exploitent le mélange des genres pour traiter sur le mode comique un sujet
grave, par exemple Giraudoux dans La guerre de Troie n'aura pas lieu,
Cocteau ne se sert du comique que comme contrepoint, mais laisse à sa pièce une
tonalité dominante relevant du tragique : l'impossibilité pour Jocaste et Oedipe
d'échapper à leur destin.
[3. Les innovations du dramaturge]
La virtuosité de Cocteau se situe ailleurs : au lieu de se contenter d'une
transposition, il innove hardiment. Ainsi il n'introduit que tardivement, à
l'acte IV, l'épisode central du mythe d'Oedipe, l'enquête menée par le héros pour
connaître et punir le meurtrier responsable de la souillure de Thèbes, et son
résultat : la découverte de l'atroce vérité. Dans les trois premiers actes, il
exploite des épisodes antérieurs de la légende, que les dramaturges ne
retiennent pas d'ordinaire.
Liens utiles
- « Un texte dramatique est un texte littéraire conçu en vue d'être représenté : sa nature est double ; il n'existe pas sans un style, appréciable à la lecture, et pourtant ses valeurs propres ne peuvent pleinement jaillir que par le jeu du théâtre, par la représentation. » Commentez cette affirmation de Pierre-Henri Simon.
- Commentez cette réflexion de P.-A. Touchard dans L'Amateur de théâtre ou la Règle du jeu : « Il y a une fatalité dans le roman comme il y a une fatalité au théâtre, mais la fatalité du roman est dans le personnage, celle du théâtre dans la situation. Le roman tend à nous faire souvenir que l'homme est déterminé par ses propres passions; le théâtre à nous rappeler que son destin demeure le jouet des événements. »
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