Ses yeux plongent plus loin que le monde réel, mais ce monde réel, il sait, quand il veut bien, le voir et le peindre admirablement. Commentez cette appréciation d'!andré Gide sur Victor Hugo ?
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«
INTRODUCTION
Ce qui semble le mieux définir le génie de Victor Hugo, c'est la puissance de son imagination.
Par ce pouvoir presque
magique qu'il avait de transfigurer le réel, le poète nous fait pénétrer dans un univers étrange qui dépasse les limites
de nos perceptions ordinaires.
Les images de la réalité ne sont pourtant pas exclues de cette oeuvre immense qui
paraît se plaire à réunir des éléments hétérogènes.
C'est cet aspect du talent de Hugo que Gide retenait lorsqu'il
écrivait : « Ses yeux plongent plus loin que le monde réel, mais ce monde réel, il sait, quand il veut bien, le voir et le
peindre admirablement.
» Le recueil des Contemplations illustre bien cette remarque : les dons du visionnaire s'y
manifestent sans contrainte, mais la vie la plus quotidienne y trouve aussi une expression précise.
L'oeuvre n'en
possède pas moins une unité profonde qui nous prouve que ces deux visages du poète, en apparence
contradictoires, sont en fait complémentaires.
I.
LE VISIONNAIRE
Une floraison d'images Les Contemplations nous présentent d'un poème à l'autre et à l'intérieur même de chacun
d'eux un enchaînement étonnant d'images qui reflète un processus original de création poétique.
Tantôt l'imagination
substitue une apparence à une autre.
Un champ devient un livre :
« Le grave laboureur fait des sillons et règle
La page où s'écrira le poème des blés.
» (Éclaircie)
Tantôt un tableau qui semble vrai nous conduit à l'expression d'une idée abstraite, prenant une signification
symbolique.
Deux cavaliers « qui songent dans la forêt » ne sont pas des êtres concrets : ils incarnent deux
conceptions opposées de la vie et de la mort.
Ailleurs, c'est l'idée qui fait naître une évocation dont l'étrangeté nous
fascine : la mort devient un « noir squelette laissant passer le crépuscule », les mystères de l'au-delà deviennent
une « bouche d'ombre ».
L'animation des couleurs et des formes Cet usage systématique de l'imagination se complète par un sens aigu
des formes, des couleurs et du mouvement qui apporte à la vision une puissance exceptionnelle.
Quatre vers du
poème intitulé Le Mendiant nous semblent caractéristiques à cet égard :
« Son manteau, tout mangé des vers et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l'âtre et semblait un ciel noir étoilé.
»
Le dessin du vêtement est rendu parfaitement précis au moyen de deux tournures expressives, l'adverbe « jadis »
suffit pour suggérer les nuances diverses de la couleur bleue qui se détache remarquablement au-dessus des tons
flamboyants évoqués par « chaude fournaise » et « lueur de braise », le mouvement esquissé par les mots « étalé
largement » amorçant deux amples alexandrins qui éloignent de son sujet le verbe « couvrir » placé en rejet, achève
de transformer ce détail en une véritable vision.
Celle-ci s'épanouit pleinement dans la comparaison finale avec un «
ciel étoilé ».
L'élaboration d'un univers fantastique Un tel don de la transfiguration introduit tout naturellement le lecteur au
coeur d'un univers fantastique.
L'imagination du poète développe souvent d'authentiques hallucinations.
En lisant
Horror, nous éprouvons une impression saisissante d'angoisse.
Le rythme circulaire des alexandrins interrompus de
deux en deux par la respiration haletante d'un octosyllabe, s'associe étroitement aux images d'un décor infernal pour
créer en nous un vertige :
« Peut-être qu'à ma porte ouvrant sur l'ombre immense
L'invisible escalier des ténèbres commence ;
Peut-être, ô pâles échappés,
Quand vous montez du fond de l'horreur sépulcrale,
O morts, quand vous sortez de la froide spirale
Est-ce chez moi que vous frappez.
»
Les ressources d'une technique parfaitement maîtrisée permettent au tempérament visionnaire du poète de trouver
ainsi son expression la plus intense.
Mais l'imagination de Hugo retient surtout notre attention par l'immensité des horizons qu'elle ouvre et par la
profondeur des sentiments qu'elle embrasse.
De nombreux poèmes des Contemplations nous donnent l'intuition d'une
vie universelle qui se meut au-dessous des apparences et établit entre elles une unité secrète.
Éclaircie présente
ainsi une nature animée dans ses moindres détails et nous conduit à la prise de conscience d'une réalité supérieure :
« Le brin d'herbe palpite aux fentes du pavé Et l'âme a chaud.
On sent que le nid est couvé.
L'infini semble plein d'un
frisson de feuillée.
»
Le poète nous fait entrer en communication avec les forces mystérieuses de l'univers dans Mugitusque boum par
l'intercession des mugissements que Virgile déjà avait pu entendre.
L'évocation des Bucoliques nous entraîne
progressivement vers l'infini dans un élargissement d'ondes concentriques :.
»
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