Shakespeare, Hamlet, Acte I, scène V (La révélation du Spectre)
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Shakespeare, Hamlet, Acte I, scène V (La révélation du Spectre)
SPECTRE - Ah, cette bête incestueuse, cette bête adultère, par la sorcellerie de son esprit, par ses cadeaux de traître - oh esprit perfide et cadeaux qui ont le pouvoir de séduire de la sorte -, gagna à sa lubricité honteuse la volonté de ma reine, en apparence si vertueuse. Ah, quelle chute, Hamlet ! M'abandonner, moi, dont l'amour était d'une dignité telle qu'il alla la main dans la main avec le serment que je lui fis dans le mariage, et s'abaisser à un misérable dont les dons naturels furent pauvres par rapport aux miens ! Mais comme la vertu ne se laisse jamais émouvoir quand la lubricité la courtiserait sous l'aspect du ciel, ainsi la luxure, même unie à un ange radieux, sera rassasiée dans un lit céleste et se gorgera de tripaille. Mais attends, car il semble que je sens l'air du matin. Je serai bref. Dormant dans mon verger, suivant mon habitude de toujours, dans l'après-midi ton oncle vint furtivement pendant cette heure libre de tout souci, ayant dans un flacon le suc de l'hébénon maudit, et il versa dans les porches de mon oreille cette lépreuse essence dont l'effet est à tel point ennemi déclaré du sang de l'homme, qu'elle s'engouffre, aussi prompte que le vif-argent, dans les portes et les allées naturelles du corps, et avec une soudaine vigueur, elle épaissit et caille, comme des gouttes acides dans le lait, le sang fluide et sain. Ainsi fit-elle du mien, et une éruption de dartres instantanée couvrit, comme une lèpre, d'une croûte infâme et répugnante tout mon corps lisse. Ainsi je fus pendant mon sommeil, par la main d'un frère, privé à jamais de ma vie, de ma couronne, de ma reine ; fauché en pleine floraison de mes péchés, sans communion, sans préparation, sans extrême-onction ; sans avoir établi mon bilan, mais envoyé à l'ultime règlement avec toutes mes imperfections sur ma tête. Oh, horrible, horrible, trop horrible ! Si tu as des sentiments inspirés par la nature, ne le supporte pas, ne tolère pas que le lit royal de Danemark soit une couche de luxure et d'inceste damné ! Mais quelle que soit la manière dont tu poursuis cet acte, ne souille pas ton esprit, ne laisse pas ton âme tramer quoi que ce soit contre ta mère, abandonne-la au Ciel et aux épines logées dans son coeur pour la piquer et la déchirer. Adieu, sur-le-champ. Le ver luisant annonce que le matin est proche, et son feu inutile commence à pâlir. Adieu, adieu, adieu. Souviens-toi de moi. (Il sort.)
(Version française par André Lorant, éd. Aubier, 1988)
Liens utiles
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- Molière, Le Misanthrope, Acte IV, scène 3
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