Sous la diversité de l'oeuvre de Diderot, peut-on distinguer une unité profonde ?
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INTRODUCTION
Dans une lettre à Sophie Volland, Diderot tentait de définir son caractère par rapport à celui de ses compatriotes,
les Langrois : ceux-ci ont, selon lui, une « inconstance de girouettes ».
L'image du « coq d'église en haut d'un
clocher » peut en effet venir à l'esprit si l'on considère l'oeuvre du philosophe.
Le foisonnement apparent des
genres, des thèmes, des opinions parfois contradictoires, semble classer le directeur de l'Encyclopédie parmi les «
touche-à-tout de génie » dont les écrits se sont dispersés à tout vent.
Pourtant, selon Mornet : « Tout être vivant
a une unité, sinon il ne serait pas vivant ».
De fait, les philosophes du XIXe siècle ont parfois revendiqué l'oeuvre de
Diderot comme une première ébauche de leurs systèmes — ce qui suppose une certaine unité de pensée — et le
tempérament personnel de l'écrivain donne à tous ses ouvrages une tonalité commune qui crée entre eux une
parenté réelle.
I.
LA DIVERSITÉ APPARENTE
Si l'on examine la liste des oeuvres de Diderot, on ne peut manquer d'être frappé par la diversité des genres qu'il
pratique.
Une oeuvre disparate S'exerçant le plus souvent au maniement des idées philosophiques, il cherche à traduire sa
pensée sous toutes les formes, fussent-elles les plus déconcertantes.
C'est ainsi que Le Rêve de d'Alembert, exposé
très audacieux sur le plan métaphysique, se présente comme la transcription des propos incohérents tenus par le
mathématicien durant son sommeil.
Plus habituel, le dialogue est souvent utilisé par Diderot en de nombreux «
entretiens » :
Entretiens sur le Fils Naturel, Entretien d'un philosophe avec la Maréchale XXX.
Il ne dédaigne pas, il est vrai, le
cadre de l'exposé systématique, et multiplie les « essais » : Essai sur la peinture, Essai sur les études en Russie.
Il
collabore, à la fois comme directeur et comme rédacteur, à l'Encyclopédie.
Mais cela ne le détourne pas d'ouvrages
plus orientés vers l'esthétique : il est le premier grand écrivain qui dans des Salons ait su se passionner pour la
peinture.
Il compose des traités sur l'art pictural, sur l'art du théâtre ; s'exerce au conte, dans le Neveu de Rameau
par exemple ; écrit de multiples comédies pour illustrer une conception dramatique différente de la conception
classique.
Comment des préoccupations si divergentes peuvent-elles avoir une inspiration commune, si l'on
considère que chaque oeuvre en elle-même présente une étonnante diversité ?
Des ouvrages complexes Chaque question soulevée amène en effet des digressions, sources d'interrogations
nouvelles : sans cesse en éveil, la curiosité de Diderot nous entraîne d'un sujet à l'autre.
Ainsi, dans Le Neveu de
Rameau, nous le voyons aborder avec son interlocuteur le problème de l'hypocrisie sociale et de la flatterie, celui de
la pédagogie, celui de la morale.
Au passage, il évoque en quelques traits acerbes les moeurs de la société
contemporaine.
Conte ? Roman ? Nouvelle ? Essai ? On ne saurait classer cet ouvrage dans un genre bien défini, le
caractère chaotique de la composition se traduisant dans le style lui-même.
La souplesse du style Il semble que l'auteur accueille, dans ses éléments successifs, le déroulement d'une «
tranche de vie ».
Sa technique, semblable à celle du « cinéma-vérité » moderne, nous transporte brusquement d'un
genre littéraire à l'autre : descriptif lorsqu'il rapporte les évolutions du Neveu transformé en mime, le style se fait
lyrique pour évoquer la tempête que suggère la mélodie entonnée par le héros ; le récit de la leçon de musique nous
restitue un tableau de Fragonard, mais les portraits cyniques des flatteurs pervertis annoncent le monde des
Liaisons Dangereuses, tandis que les faits et gestes de Rameau sont narrés sous une forme picaresque.
Le caractère composite de l'oeuvre de Diderot est donc évident : peut-être explique-t-il qu'elle soit moins étudiée
que celles de Montesquieu ou de Rousseau.
II.
L'UNITÉ DE LA PENSÉE
On aime en effet à trouver chez un philosophe un système cohérent, un exposé rigoureux et clair, accessible à
l'intelligence.
Or, pour Diderot « notre sentiment n'est pas celui dans lequel nous n'avons jamais vacillé, mais celui
auquel nous sommes le plus habituellement revenus ».
Dans cette perspective, on peut discerner chez lui quelques
options fondamentales.
L'esprit critique Homme du xviiie siècle, Diderot ne pouvait être satisfait du monde qui l'entourait, et son esprit
critique s'acharne contre une société décadente.
Dans la leçon de musique du Neveu de Rameau, nous voyons le
personnage aux prises avec une femme vaniteuse et superficielle, avec une jeune fille rouée, paresseuse, frivole.
Dans ce cadre futile s'incruste le parasite, victime consentante de la misère, avili par sa résignation, incapable de
rompre avec ses habitudes : il considère avec cynisme qu'il aide les riches « à restituer » leurs scandaleuses
fortunes.
Sa seule arme est de jeter la poudre aux yeux de ses dupes.
Nous retrouvons ces tableaux truculents ou
gaillards dans toute l'oeuvre de Diderot, où les gens d'église sont souvent mêlés.
Mais nous sommes loin des
critiques logiques, fondées sur l'histoire et l'étude des moeurs, qu'un Rousseau dirige avec véhémence contre ses
contemporains : le ton reste celui de la dérision.
L'ébauche d'une morale En face, il est vrai, de ces évocations qui prennent parfois le ton de la complicité, Diderot
défend constamment une conception personnelle de la morale, que l'on trouve éparse, dans ses lettres, dans ses
Essais, dans ses Entretiens.
Le Supplément au voyage de Bougainville nous présente un Tahitien vertueux dont les
propos rejoignent ceux de Montesquieu : les lois du magistrat et celles du prêtre, se contredisant souvent,.
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