STENDHAL, Le Rouge et le Noir
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Ce fut en vain qu'il appela Julien deux ou trois fois. L'attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l'empêcha d'entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l'arbre soumis à l'action de la scie, et de là sur la poutre qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi violent donné sur la tête lui fit perdre l'équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action qui l'eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche comme il tombait.
- Eh bien ! paresseux, tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ? Lis-les le soir quand tu vas perdre ton temps chez le curé.
Julien, quoique étourdi par la force du coup et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique que pour la perte de son livre qu'il adorait.
- Descends, animal, que je te parle.
Le bruit de la machine empêcha encore Julien d'entendre cet ordre. Son père alla chercher un longue perche et l'en frappa sur l'épaule. A peine Julien fut-il à terre que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. " Dieu sait ce qu'il va me faire ! " se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ; c'était celui de tous qu'il affectionnait le plus.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir
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