Stendhal - Le Rouge et le Noir - II° partie, Chapitre III (Les premiers pas à Paris)
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L'orientation du commentaire
Les sources d'intérêt de ce texte sont multiples.
C'est sans doute pourquoi le libellé vous invite
à faire un choix personnel dans l'orientation de votre commentaire.
Les candidats ont, pour la
plupart, lu et même étudié Le rouge et le noir.
Mais nous envisageons le cas, plus fréquent
qu'on le pense, d'un étudiant pour qui ce passage est l'occasion d'une première rencontre avec
Stendhal.
Quel intérêt peut-il prendre à cette lecture? Sans doute s'attachera-t-il aux
personnages.
Il n'aura pas de peine à découvrir l'aspect satirique d'une peinture sociale en ce
qui Concerne les deux aristocrates : le comte Norbert et son père, le marquis de la Mole.
Et il
appréciera par contraste la forte personnalité de Julien Sorel.
Son analyse s'organisera donc
naturellement autour de l'intérêt psychologique de cette page.
Introduction
Cette page de Stendhal nous fait assister à une journée de Julien Sorel.
Sous la banalité apparente de cet emploi du
temps, nous apprenons à connaître les membres de la famille aristocratique qui l'emploie.
Et Julien lui-même dévoile au
travers de ses faits et gestes certains aspects de son caractère.
1.
Les personnages secondaires
Surpris dans l'intimité de leur vie quotidienne, les personnages nous révèlent par leur comportement et leur propos
l'essentiel de leur caractère.
Le marquis de la Mole est ici esquissé d'un crayon assez rapide.
L'esquisse est suffisante
toutefois pour que nous puissions apprécier au passage sa politesse méticuleuse et lointaine.
S'il demande à son
secrétaire « des nouvelles de sa promenade », c'est parce qu'il estime que la simple correction lui impose de ne pas
ignorer, tout au long d'un dîner, un inférieur qu'il a admis à sa table.
Voilà pourquoi Stendhal souligne qu'il veut lui
adresser la parole, et l'objet de sa question importe peu; seul compte à ses yeux, le geste de courtoisie qu'il entend y
mettre.
Même lorsqu'il exprime à son voisin l'académicien sa satisfaction de voir Julien se tirer avec bonne grâce d'une
situation délicate, il parle avec une désinvolture hautaine de « ce petit prêtre » doublé d'un provincial.
Pour lui en fin
de compte, le mérite essentiel de son nouveau secrétaire est de s'être montré sous un jour plus favorable que ne
l'aurait laissé prévoir la médiocrité de sa condition.
Bref, c'est l'esprit de caste de ce grand seigneur qui transparaît ici
à la fois sous ses scrupules de politesse et sous les éloges condescendants qu'il décerne.
Le comte Norbert, son fils, nous offre un autre spécimen de l'aristocratie.
La même politesse raffinée s'observe chez
lui.
Lorsqu'il propose à Julien de monter à cheval en sa compagnie, il trouve le moyen de lui dire avec la meilleure grâce
du monde qu'il peut, sans manquer aux devoirs de sa charge, disposer de quelques heures de loisirs.
Pour ne pas
souligner d'une manière pénible à son interlocuteur sa situation inférieure, il se met par un artifice de forme sur le même
plan que celui-ci et feint d'avoir profité au même titre que Julien Sorel de cette permission libéralement octroyée : «
Mon père, dit-il, «ordonne congé jusqu'au dîner ».
De même au cours du dîner, avec un à-propos exquis, il a l'art de
tirer Julien d'une situation embarrassante.
Pour éviter au cavalier maladroit de confesser publiquement sa disgrâce, il
prend la parole à sa place et se cantonne dans une réponse vague qui permettrait de clore le débat.
En outre, son
habitude de la conversation mondaine lui a donné l'esprit de répartie.
Il trouve sans effort la réponse du tac au tac qui
rebondit allègrement et victorieusement en une formule enjouée : « Monter à cheval (dit Julien), cela ne m'est pas
arrivé six fois dans ma vie.
— Eh bien! ce sera la septième, dit Norbert.
» Mais cela ne doit pas nous faire illusion et
Stendhal, en même temps qu'il souligne les mérites de son personnage, sait aussi nous en indiquer les limites.
La
politesse parfaite du comte Norbert se concilie à merveille avec une indifférence tout aussi parfaite à l'égard de ce
jeune roturier qu'il comble de sa courtoisie : le nouvel arrivant offrait si peu d'intérêt à ses yeux qu'il avait oublié
jusqu'à « son existence ».
Quant à la façade brillante, il semble bien qu'elle ne soit qu'un leurre.
Pour meubler la
conversation et pour faire preuve de quelque sagacité dans la discussion politique à laquelle il entend se mêler, dans la
soirée, le comte Norbert a besoin de venir chercher l'inspiration dans quelque article de journal.
Bien mieux, à ce genre
de lecture qui demande d'ordinaire une attention superficielle il se livre avec application : il vient « étudier » un journal.
Et cela ne plaide guère sans doute en faveur de l'étendue de sa formation intellectuelle et de sa culture.
Tels nous apparaissent dans cette page le marquis et le comte de la Mole, avec leurs brillantes qualités de façade, leur
esprit de caste et cette politesse sans faille, marque de leur parfaite éducation, de leur parfait usage du monde.
Ils
nous sont décrits moins par ce qui les distingue que par leurs traits communs.
L'un et l'autre évoquent le milieu
aristocratique.
La peinture psychologique s'élargit en une satire sociale.
2.
Le personnage principal
Or cette satire sociale est vigoureusement mise en valeur par un contraste plein de sens.
En face de ces aristocrates
aux qualités brillantes mais superficielles se dresse la personnalité riche et profonde de Julien Sorel.
L'opposition se
manifeste d'abord dans un domaine où le jeune provincial semble à première vue se mettre à l'unisson de ses hôtes.
Lorsque la conversation s'engage sur cette malheureuse promenade à cheval où notre héros a fait si triste figure,
Julien fait preuve de ces qualités de tact, d'aisance et d'esprit qui sont l'apanage habituel et autant dire exclusif des
gens du monde.
Il n'accepte pas la solution de facilité qui consisterait à laisser la conversation rebondir naturellement
vers un sujet moins brûlant, grâce à l'aimable intervention de Norbert de la Mole.
Et en répondant à son tour à la
question du marquis, il sait à la fois témoigner en termes mesurés et respectueux sa reconnaissance et se moquer de
lui-même sur un ton plein d'humour.
Bien mieux, en insistant sur les attentions délicates du jeune comte à son égard, il
écarte délibérément toute circonstance atténuante de sa maladresse : Norbert avait daigné lui « faire donner le cheval.
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