Tchékhov, La Cerisaie, acte I.
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Tchékhov, La Cerisaie, acte I.
LOPAKHINE : Le train est arrivé, Dieu merci. Quelle heure est-il ?
DOUNIACHA : Bientôt deux heures. (Soufflant sur la bougie) Il fait déjà clair.
LOPAKHINE : Mais combien de retard a-t-il donc, ce train ? Au moins deux heures. (Il bâille et s'étire.) Et moi, non, quel imbécile ! Venir exprès ici, pour aller les chercher à la gare, et m'endormir... Je me suis endormi dans ce fauteuil. C'est agaçant... Tu aurais dû me réveiller, toi.
DOUNIACHA : Je vous croyais parti. (Elle tend l'oreille) Les voilà, je crois qu'ils arrivent.
LOPAKHINE, prêtant l'oreille : Non... Il faut retirer les bagages, faire ceci et cela... (Un temps.) Lioubov Andréevna vient de passer cinq ans à l'étranger, comment est-elle, aujourd'hui ? Je me le demande... C'est quelqu'un de bien. Un être simple, facile à vivre. Je me souviens, un jour, oh ! je devais avoir dans les quinze ans, mon père tenait une épicerie dans le village, eh bien, il m'a envoyé un coup de poing en pleine figure, et j'ai saigné du nez... Nous étions venus ici tous les deux, je ne sais plus pourquoi, et il était soûl. Alors Lioubov Andréevna, je m'en souviens comme si c'était d'hier, elle était encore jeunette, toute mince, elle m'a conduit au lavabo, là dans cette chambre. "Ne pleure pas, qu'elle m'a dit, mon petit moujik, d'ici tes noces, ce sera oublié..." (Un temps.) Petit moujik... C'est vrai, mon père était un simple moujik, mais moi je porte un gilet blanc, des chaussures jaunes... Un cochon dans un salon... Je suis riche, il n'y a que ça de changé, j'ai beaucoup d'argent, mais si on regarde de près, si on y réfléchit, je ne suis qu'un moujik, rien de plus. (Il feuillette son livre.) Voilà, j'ai lu ce livre, et je n'y ai rien compris, je me suis endormi dessus. (Un temps.)
DOUNIACHA : Les chiens, eux, n'ont pas dormi de la nuit. Ils sentent l'arrivée des maîtres.
LOPAKHINE : Mais qu'est-ce qui t'arrive, Douniacha?
DOUNIACHA : J'ai les mains qui tremblent. Je vais m'évanouir.
LOPAKHINE : Tu es bien trop douillette, Douniacha. Tu t'habilles comme une demoiselle, et cette coiffure... Ce n'est pas bien. A chacun sa place.
Entre Epikhodov portant un bouquet. Il est en veston ; ses bottes bien cirées craquent à chaque pas. En entrant, il laisse tomber son bouquet.
EPIKHODOV : Voilà, c'est le jardinier qui l'envoie, il dit qu'il faut le mettre dans la salle à manger.
Il donne le bouquet à Douniacha.
LOPAKHINE : Tu m'apporteras du kvass.
DOUNIACHA : Bien, monsieur.
EPIKHODOV : Il gèle. Trois degrés au-dessous de zéro, et les cerisiers sont en fleur. (Soupirant) Je ne peux pas me faire à notre climat. Non, vraiment. Ce n'est pas un climat favorable. Et puis, permettez-moi d'ajouter ceci, Ermolaï Alexéevitch : avant-hier, je me suis acheté une paire de bottes, et voilà qu'elles craquent, sauf votre respect, il y a de quoi devenir fou. Avec quoi les graisser ?
LOPAKHINE : Fiche-moi la paix. Tu m'ennuies.
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