Théodore Agrippa d' AUBIGNÉ (1552-1630) (Recueil : Poésies diverses) - Sus ! que mon âme donc aille servir son âme
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Théodore Agrippa d' AUBIGNÉ (1552-1630) (Recueil : Poésies diverses) - Sus ! que mon âme donc aille servir son âme Sus ! que mon âme donc aille servir son âme Et que ce corps ne soit inutile à sa dame ! Premièrement je prie à mains jointes les dieux Émus de mon ardeur, qu'ils fassent de mes yeux Deux brillants diamants sur qui la molle audace Du poinçon acéré ne laisse aucune trace, Non plus que sur mon coeur on n'a jamais pu voir Que le fer ni le feu aient eu aucun pouvoir. Ce sera pour complaire à la meurtrière vue Qui tira pai mes yeux mon coeur à l'impourvue, Ce sera pour orner et les mains et les doigts Qui serrèrent ma vie esclave sous ses lois. Que mes dents par les cieux soient faites immortelles Changées pour jamais en tout autant de perles Sans tache ni obscur, comme sans tache aussi Fut mon amour, mon âme, et ma foi jusqu'ici. Ce sera pour lier cet obstiné courage A rendre pour l'amour la peine et le dommage, Ce sera pour lier sa chevelure en rond, Pour embellir son chef et couronner son front. Ma peau lui servira de véritable ocagne Meilleure qu'il n'en vient de la mi-maure Espagne, Pour garantir du chaud du soleil outrageux Les mains de ma meurtrière, en sorte que je veux Garder contre le feu ce qui me met en cendre, Et pour mille forfaits tel service lui rendre. Et vous, mes nerfs, lassés de tirer mes malheurs, Je veux que ci-après vous chantiez mes douleurs Sur le luth enchanteur que ma maîtresse fière A l'ouïr de ma mort lâchera en colère Sur le dos de son lit. Change, coeur endurci, Change, coeur obstiné, change de nom aussi : Tu as aimé les coups et les piqûres Et tu prends à plaisir et faveur les blessures ; Quand mes yeux seront clos d'un éternel sommeil, Tu auras un office et supplice pareil : Tu serviras Diane et sur les mêmes brèches Que firent dedans toi mille sanglantes flèches Tu seras gardien des épingles qu'au soir Sa délicate main te fera recevoir, Celles qui remparaient d'un satin noir sa face, Ou qui piquaient mes doigts punis de mon audace. Coule, sang irrité, et après mon malheur Ne change point encor ta naïve couleur, Fais-toi son vermillon, ô plaie bienheureuse, Qui poussant sur mon sang mon âme langoureuse Lui donne ce soulas qu'au bout de mes douleurs Renaîtront de ma mort tant de vives couleurs Qui feront ma sévère, à nulle autre pareille, Au lustre de mon sang reluire plus vermeille...
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