« Tout est dit et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent. » c'est ce qu'écrit La Bruyère au début du premier chapitre des Caractères. Pensez-vous qu'aujourd'hui encore les jeunes générations se heurtent à ce même problème pour créer à leur tour des oeuvres littéraires et artistiques ?
Extrait du document
«
La Bruyère était classique : partisan résolu des anciens, il était persuadé qu'ils ont tout dit sur la nature humaine.
De plus, il venait après Pascal et La Rochefoucauld.
De là cette affirmation modeste au début des Caractères : «
Tout est dit...
»
I.
Cette pensée s'explique par la théorie classique.
1.
L'homme, en son fond, ne change guère.
Les analyses des anciens moralistes restent toujours aussi vraies, parce
qu'ils se sont attachés surtout à ce qu'il y a en nous d'éternel et de permanent.
Nous nous retrouvons dans
Plutarque, Sénèque, Théophraste.
Nous n'avons donc qu'à les étudier, si nous voulons nous mieux connaître nousmêmes, et les imiter, si nous voulons peindre l'homme à notre tour, d'autant plus qu'ils ont joint la perfection de la
forme à la profondeur et à la vérité de l'observation.
2.
C'est ce qu'ont fait tous nos classiques; leur humanisme est fondé sur ce principe de l'immutabilité de la nature
humaine.
Venant après tant de grands écrivains, La Bruyère pouvait affirmer sincèrement qu'il n'avait plus qu'à
glaner.
Il peindra l'homme et la société, en notant ce qui est particulier à son temps.
Car si l'âme humaine reste
identique, si les passions et les sentiments sont semblables, les costumes, les modes, les habitudes changent.
Enfin
il se montrera, et cela est toujours possible, original dans la forme.
II.
Cette idée est d'ailleurs discutable.
1.
Le XVIIIe siècle mettra en lumière Vidée de progrès, en se plaçant surtout au point de vue scientifique.
Nous ne
nous représentons pas le monde comme les anciens.
Et cela n'est pas sans amener de notables changements non
seulement dans nos idées, mais même dans nos sentiments.
Pour ce qui concerne les moeurs, s'il n'y a pas eu
progrès, il y a eu, au moins, évolution.
Si on compare l'humanité à un seul homme, comme l'ont fait Pascal et
Fontenelle, et si les anciens constituent la jeunesse du monde, ce ne sont pas seulement nos connaissances qui se
sont accrues, c'est notre esprit, notre imagination, notre coeur qui se sont transformés, comme dans un individu qui
passe de la jeunesse à l'âge mûr.
2.
Des transformations plus importantes encore avaient été apportées par le Christianisme, qui a vraiment renouvelé
l'âme humaine : sentiments, aspirations, vertus, vices : charité, humilité, désir de l'infini, hypocrisie...
(cf.
Mme de
Staël et Chateaubriand)....
Polyeucte, Tartuffe, Andromaque et Iphigénie de Racine.
Même ceux qui rejettent le
christianisme ont subi son empreinte....
(Michelet, Renan, Baudelaire.)
3.
Enfin le XIXe siècle nous a fait connaître des civilisations et des religions différentes.
On a essayé de pénétrer
dans la psychologie des primitifs, des Chinois, des Musulmans, des Hindous, etc.
Nos horizons se sont élargis, la
connaissance du coeur humain en a profité...
et la littérature aussi.
(Leconte de Lisle, Loti, etc.)
Sans doute les ressorts de l'âme humaine sont partout essentiellement les mêmes, comme partout le corps humain
est constitué des mêmes membres et organes semblablement- disposés.
L'idée sur laquelle est fondé l'humanisme
n'est pas une chimère.
« II y a dans l'homme, comme dit Chateaubriand, deux hommes : l'homme de son siècle,
l'homme de tous les siècles.
» Mais on aurait tort de croire que les différences entre races, époques et civilisations,
sont superficielles.
L'âme humaine est complexe et profonde, on n'en a jamais achevé l'étude.
Il reste encore bien
des découvertes à faire.
Il s'en fait de beaucoup qu'en ce qui concerne les moeurs, tout soit dit..
»
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