Tristan CORBIERE (1845-1875) (Recueil : Les Amours jaunes) - Rapsodie du sourd
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Tristan CORBIERE (1845-1875) (Recueil : Les Amours jaunes) - Rapsodie du sourd L'homme de l'art lui dit : - Fort bien, restons-en là. Le traitement est fait : vous êtes sourd. Voilà Comme quoi vous avez l'organe bien perdu. - Et lui comprit trop bien, n'ayant pas entendu. - " Eh bien, merci Monsieur, vous qui daignez me rendre La tête comme un bon cercueil. Désormais, à crédit, je pourrai tout entendre Avec un légitime orgueil... A l'oeil - Mais gare à l'oeil jaloux, gardant la place De l'oreille au clou !... - Non - A quoi sert de braver ? ... Si j'ai sifflé trop haut le ridicule en face, En face, et bassement, il pourra me baver ? oi, mannequin muet, à fil banal ! - Demain, Dans la rue, un ami peut me prendre la main, En me disant : vieux pot.... ou rien, en radouci ; Et je lui répondrai - Pas mal et vous, merci ! - Si l'un me corne un mot, j'enrage de l'entendre ; Si quelqu'autre se tait : serait-ce par pitié ?... Toujours, comme un rebus, je travaille à surprendre Un mot de travers... - Non - On m'a donc oublié ! - Ou bien - autre guitare - un officieux être Dont la lippe me fait le mouvement de paître, Croit me parler... Et moi je tire, en me rongeant, Un sourire idiot - d'un air intelligent ! - Bonnet de laine grise enfoncé sur mon âme ! Et - coup de pied de l'âne... Hue ! - Une bonne-femme Vieille Limonadière, aussi, de la Passion ! Peut venir saliver sa sainte compassion Dans ma trompe-d'Eustache, à pleins cris, à plein cor, Sans que je puisse au moins lui marcher sur un cor ! - Bête comme une vierge et fier comme un lépreux, Je suis là, mais absent... On dit : Est-ce un gâteux, Poète muselé, hérisson à rebours ?... Un haussement d'épaule, et ça veut dire : un sourd. - Hystérique tourment d'un Tantale acoustique ! Je vois voler des mots que je ne puis happer ; Gobe-mouche impuissant, mangé par un moustique, Tête-de-truc gratis où chacun peut taper. O musique céleste : entendre, sur du plâtre, Gratter un coquillage ! un rasoir, un couteau Grinçant dans un bouchon !... un couplet de théâtre ! Un os vivant qu'on scie ! un monsieur ! un rondeau !... - Rien - Je parle sous moi... Des mots qu'à l'air je jette De chic, et sans savoir si je parle en indou... Ou peut-être en canard, comme la clarinette D'un aveugle bouché qui se trompe de trou. - Va donc, balancier soûl affolé dans ma tête ! Bats en branle ce bon tam-tam, chaudron fêlé Qui rend la voix de femme ainsi qu'une sonnette, Qu'un coucou !... quelquefois : un moucheron ailé... - Va te coucher, mon cœur ! et ne bats plus de l'aile. Dans la lanterne sourde étouffons la chandelle, Et tout ce qui vibrait là - je ne sais plus où - Oubliette où l'on vient de tirer le verrou. - Soyez muette pour moi, contemplative Idole, Tous les deux, l'un par l'autre, oubliant la parole, Vous ne me direz mot : je ne répondrai rien... Et rien ne pourra dédorer l'entretien.
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