Tu me disais - André VERDET
Extrait du document
«
Le poème « Tu me disais » est un extrait de l'oeuvre d'André Verdet, Les jours, les nuits, et puis l'aurore.
Résistant de
la guerre de 1945, André Verdet y traite le thème de la guerre, qui inspire tant de joies par ses victoires, mais surtout,
tant de souffrances.
Dans ce poème il laisse la parole à un résistant mourant, dont le seul souvenir heureux et
magnifique est celui de l'amour l'unissant à sa femme.
Le rythme lent lui attribue une atmosphère paisible et heureuse,
que vient brusquement rompre le rythme bref annonçant la mort et l'évanouissement de ce qui n'était plus qu'un rêve,
dans la dernière strophe.
Par son manque de ponctuation et par son refrain : « Tu me disais : Ma femme », ce poème me rappelle La Diane
Française de Louis Aragon, oeuvre écrite sous forme de poème et distribuée en tracts dans les boîtes aux lettres,
pendant la Résistance ; la ressemblance réside surtout dans « La Rose et le Réséda », poème de La Diane française,
qui se termine également par la mort, après l'évocation d'une grande ferveur unissant deux patriotes.
Mais revenons au poème.
Il ne comporte aucune ponctuation : peut-être parce que tout ce poème semble se dérouler
dans un rêve, brutalement interrompu par la mort.
Le titre même du poème, « Tu me disais », par le temps grammatical
employé, nous annonce déjà qu'André Verdet traite un événement passé, donc un souvenir.
Ce titre est repris sous
forme de refrain, et confère au lecteur deux impressions dominantes : il met en relief le premier thème de ce poème,
l'amour et la liberté, symbolisés par la Femme ; mais surtout, il apporte à ce poème une impression de mélancolie et de
tristesse ressenties par l'auteur, mais sous laquelle peut se dégager un sentiment d'exaltation et d'admiration,
ressenties cette fois-ci par le résistant lui-même, lorsqu'il parle de sa femme.
Cette femme, décrite par son époux le
résistant : « Ma femme », nous est présentée d'une manière assez vague, aucune description physique n'est
ébauchée, si ce n'est par l'adjectif « belle », mais elle nous est révélée par ses qualités morales ; nous savons ainsi
qu'elle est « douce », « fraîche », « simple » et « bonne ».
Ce vocabulaire employé par Verdet est simple — cette
femme est probablement une femme du peuple — mais relevé par de nombreuses images poétiques
recherchées ; la beauté indescriptible de cette femme est infinie, éblouissante et céleste, telle « l'aube ».
Elle domine
la mer, dont le mouvement des vagues est évoqué par k rythme très régulier du deuxième vers et qui semble ajouter
une note auditive, musicale et douce, au poème : celle du bruit monotone et paisible des vagues.
Mais cette beauté
n'est ici ni vulgaire, ni violente ; elle est « douce comme l'eau qui poudre aux yeux mi-clos de la biche dormante » ;
Verdet ébauche ici un tableau campagnard paisible ; mais peut-on qualifier l'eau de « douce » ? Oui, car, douce, claire
comme l'eau, limpide, cette femme céleste est pure, et est associée à « la biche », animal gracieux mais craintif et
inoffensif.
Elle est « fraîche comme l'herbe qu'on mâche sous l'étoile au premier rendez-vous » ; Verdet se souvient-il
de « Ma bohème » de Rimbaud ?
« Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou ».
Cette femme attirante est devenue presque féérique et appartient
au monde merveilleux des contes de fées, car elle est simple « comme celle qui perdant sa pantoufle y gagna son
bonheur », comme Cendrillon.
Mais, cette fée devient Muse, peut-être la muse inspiratrice des poètes ? Et pour
montrer sa grandeur, Verdet n'hésite pas à employer le verbe « glorifier », et à l'associer au grand poète, Musset.
L'atmosphère de cette première strophe est à la fois magnifique et paisible.
Tout n'est que sensations, fraîcheur et
bien-être ; nous sommes plongés dans un monde merveilleux où n'existent que les animaux pacifiques, les Fées et les
Muses.
Mais, déjà, cet empire surréaliste — et l'on peut bien parler d'empire, puisque cette femme, Fée et Muse à la fois, en
est la reine — inquiète : cette femme est « étrange ».
Elle est pure, mais fragile : elle « ne livre à l'époux qu'un
fantôme adorable » ; on trouve toujours cette idée d'inaccessibilité, de magie, mais qui prend maintenant un aspect
plus positif ; la juxtaposition de « fantôme » et « adorable » renforce cette impression.
L'« image tremblant(e) » de cette femme s'estompe dans l'esprit du résistant, elle s'efface peu à peu avec la guerre,
avec le temps, mais perçoit toujours cet espoir tenace de la revoir et que Verdet nous communique par l'emploi de « je
voudrais » ; « je voudrais...
», mais cet espoir est bien fragile et « peut-être » fait subsister le doute, le résistant
voudrait « la chanter ».
C'est-à-dire chanter en son honneur, pour elle, pour lui prouver tout son amour et cet homme,
touché au plus profond de son âme, deviendrait un poète, bien loin de toute cette guerre, et de cette tuerie.
Il
n'hésiterait pas à voler ces mots « dans le coeur des poètes ».
Mais, déjà, apparaît la mort : ces poètes « qui sont
morts en taisant la merveille entendue » ; avec eux, disparaît la
« merveille entendue », leurs poèmes dictés par leur coeur, et si beaux par leur ferveur.
L'avant-dernière strophe est
très « floue » : l'idée de volonté du résistant est retrouvé : « je voudrais » ; mais « à l'improviste », « le songe » et «
insinuerait » évoquent des idées assez vagues, où le hasard intervient : c'est la fin du rêve, du fervent espoir du
résistant de revoir sa femme « belle comme l'aube » et « fraîche comme l'herbe ».
La mort est là avec ses supplices, et
Verdet insiste sur cette impression d'anéantissement, d'échec profond, en mettant en relief l'ad-verbe « atrocement »,
par un rejet ; il produit ainsi une rupture nette et brutale avec le reste du poème, rupture accentuée par l'emploi de
vers courts...
Mais Verdet ne veut pas nous laisser sur une impression finale de douleur, et le dernier vers, énoncé
avec mélancolie, tente de nous rappeler ce rêve merveilleux, et ce « fabuleux amour ».
Il est à noter l'exactitude du
mot « fabuleux » et son importance : fabuleux car heureux et immense, mais aussi fantastique et incroyable.
André
Verdet, par son grand talent de poète, a su nous émouvoir profondément.
Par la bouche d'un résistant anonyme, il
rend une sorte de culte à la femme qui représente la Beauté, l'Amour et la Joie.
Mais la mort, qui n'est que destructrice
et néfaste, tue cet Idéal, ce rêve, hélas si merveilleux, et nous laisse sur une lourde impression de malaise et de
souffrance, peut-être estompée par le dernier vers..
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