Un critique écrit à propos de Polyeucte: Dans cette tragédie où l'action de la grâce est toujours présente, le comportement et l'évolution de Polyeucte et de Pauline restent pourtant, d'un bout à l'autre de la pièce, conformes à la vraisemblance psychologique. En retraçant d'une manière précise l'évolution psychologique des deux personnages vous justifierez le jugement de ce critique ?
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Un critique écrit à propos de « Polyeucte » : « Dans cette tragédie où l'action de la grâce est toujours
présente, le comportement et l'évolution de Polyeucte et de Pauline restent pourtant, d'un bout à l'autre
de la pièce, conformes à la vraisemblance psychologique.
» En retraçant d'une manière précise l'évolution
psychologique des deux personnages vous justifierez le jugement de ce critique.
INTRODUCTION
Enlisées dans la banalité, telles nous apparaissent, lorsque l'action commence, l'âme de Polyeucte et l'âme de
Pauline.
Et d'après les déclarations formelles de Corneille lui-même, l'essence de la pièce, c'est l'évolution qui les
porte de cette banalité jusqu'aux cimes de l'héroïsme humain soutenu par la grâce.
Cependant ils y atteignent
différemment : Polyeucte s'élève au martyre d'un seul coup, mais il doit s'y maintenir par une série sans cesse
renaissante de conflits où il ne triomphe qu'en rassemblant toutes les ressources de sa volonté et en invoquant le
Dieu qu'il vient d'avouer Pauline s'élève au martyre sans combat, sans effort de volonté, en s'abandonnant à la
contagion mystique que suscite par degrés en elle la conduite de l'homme qu'elle a d'abord aimé comme un homme.
C'est en ce sens qu'un critique a pu dire : « Dans cette tragédie où l'action de la grâce est toujours présente, le
comportement et l'évolution de Polyeucte et de Pauline restent...
conformes à la vraisemblance psychologique.
»
I.
L'ÉVOLUTION DE POLYEUCTE
En ce qui concerne Polyeucte, les deux tendances qui vont entrer en lutte tout au long de son évolution
apparaissent successivement chacune, et presque à l'état pur, dans les deux premières phases de cette évolution
pour se heurter ensuite sans merci jusqu'à la mort du martyr.
Dans la première phase, au premier acte, il nous semble que par les forces vives de son être, Polyeucte est tout au
monde ; amour de chair et de sentiment pour Pauline, conscience que ses obligations d'homme et de citoyen
l'éloignent du baptême, voilà ce qu'il exprime dans la première scène de la pièce.
Somme toute, s'il suit Néarque,
c'est que plusieurs fois il lui a fait prévoir sa conversion et que celui-ci la lui rappelle presque comme une promesse.
Dans la seconde phase, au cours de la dernière scène du deuxième acte, le renversement du point de vue est total
: dépassant le christianisme de Néarque, sinon par la pensée, du moins par la sensibilité, il n'aspire plus qu'à s'unir
d'un seul élan au Dieu dont il vient d'embrasser la foi.
Tous les objets humains qui sollicitaient son affection, qui
l'accaparaient presque il y a quelques moments, sont oubliés.
Est-ce invraisemblable ? Non ; l'âme de Polyeucte est
une âme éprise d'absolu et avant son mariage avec Pauline, avant même qu'il l'eût connue, la conversion au
christianisme a été la grande pensée de sa vie, l'aliment nécessaire à son coeur ardent et inquiet.
Il est
vraisemblable qu'au moment où le souci de satisfaire à un engagement l'amène à revivre son premier élan dans un
cérémonial d'autant plus impressionnant qu'il est plus simple, tout ce qu'il a vécu et désiré dans l'intervalle lui
apparaisse comme une misérable distraction semée sur sa route par la Fortune, mieux encore par le Démon, et
spontanément il accomplit le geste décisif.
C'est alors que, dans une troisième phase, Polyeucte va se trouver en proie à un douloureux conflit intérieur.
Il a
sacrifié l'amour terrestre à l'amour divin dans un mouvement d'inspiration, sans penser à l'amour terrestre, sans en
peser la valeur et les charmes, et voilà que ceux qui tiennent humainement à lui vont s'appliquer à le faire revenir
sur son « coup de tête ».
Maintenant que le pas décisif est franchi, il ne peut revenir en arrière sans se parjurer visà-vis de Dieu, vis-à-vis de lui-même, mais pourra-t-il tenir jusqu'au bout ? Tout le reste de la pièce n'est que la
mise en scène des assauts donnés par ses proches à sa « folie de la Croix » et dont sa «folie de la Croix» n'avait
pas songé à mesurer l'horreur.
Le spectacle du supplice de Néarque l'aide à vaincre facilement les prières et les menaces de Félix.
Ce n'est pas là,
pour lui, l'occasion d'un combat ; tout au contraire, il contribue plutôt à l'exalter encore.
Mais, première épreuve, on
lui annonce la venue de Pauline : il chancelle, il a peur de lui-même et, pour assurer la victoire, avant même que le
combat ait commencé, il décide de céder sa femme à son premier prétendant.
Une fois qu'il a pris toutes mesures
pour faire exécuter cette décision, il se trouve plus à l'aise pour demander et recevoir l'appui de Dieu.
Mais voici que
survient une deuxième épreuve : Pauline se présente en personne.
Tout entier à son exaltation mystique, il supporte
assez bien ses exhortations tant qu'elle parle au nom des autres, mais lorsqu'elle met en avant son amour et ellemême, il chancelle à nouveau et il ne dompte cette défaillance qu'en l'unissant à lui, sinon dans la chair et en cette
vie, du moins par-delà la mort, et dans la même adoration religieuse, peut-être dans le même martyre :
« Seigneur de vos bontés il faut que je l'obtienne.
Elle a trop de vertus pour n'être pas chrétienne...
»
Et il faut le refus indigné de Pauline pour le faire revenir à son projet primitif d'effacement devant Sévère.
Il peut
enfin se croire au terme de ses sanglantes victoires, mais ses proches ne se tiennent pas pour battus.
Nouvelle
épreuve : Pauline, qui avait d'abord accueilli sans mot dire le legs qu'il faisait d'elle à Sévère, proteste que ce dernier
n'est plus rien pour elle et qu'elle suivra son époux dans la mort : nouvelle attaque du bonheur humain sur la soif du
martyre et d'autant plus insidieuse qu'elle est plus pure.
Alors, pour forcer Félix à le rayer du nombre des vivants,
Polyeucte rassemble en une profession de foi d'autant plus combative qu'il est plus déchiré, tous les cris d'adoration
chrétienne et de blasphème qu'il a pu proférer antérieurement ; et sans en avoir le dessein ni la volonté, il souligne
lui-même, dans les paroles qu'il adresse à Pauline, la terrible tension nerveuse qu'il doit surmonter pour remporter
encore une fois la victoire :
« Ah, ruses de l'enfer !
Faut-il tant de fois vaincre avant que triompher ? Vos résolutions usent trop de remise :.
»
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