Un grand nombre d'oeuvres romanesques et théâtrales prennent pour sujet l'amour malheureux, l'échec sous des formes diverses, la mort, et quelquefois des calamités telles que la peste ou la guerre. Vous direz, en vous appuyant sur des exemples précis, quel intérêt et quel plaisir vous prenez à l'évocation de sujets qui, dans le monde réel, vous paraissent pénibles.

« Un grand nombre d\'oeuvres romanesques et théâtrales prennent pour sujet l\'amour malheureux, l\'échec sous des formes diverses, la mort, et quelquefois des calamités telles que la peste ou la guerre. Vous direz, en vous appuyant sur des exemples précis, quel intérêt et quel plaisir vous prenez à l\'évocation de sujets qui, dans le monde réel, vous paraissent pénibles. Introduction Un sujet vaste comme la littérature, comme le champ de l'oeuvre d'art elle-même, car les thèmes évoqués ici occupent aussi bien une place prépondérante : — dans la poésie : la guerre, ses épreuves, déchirements, héroïsmes, défaites, qu'elle soit extérieure ou intestine, chez Virgile, D'Aubigné, Aragon ; la souffrance amoureuse, chez Musset, Apollinaire, Aragon même, à qui Elsa inspire «Il n'y a pas d'amour heureux » ; la déchéance chez Verlaine ; l'impuissance créative, la stérilité, chez Mallarmé... — dans le cinéma : la mort et l'oubli chez Resnais ; la solitude et l'incommunicabilité chez Antonioni ; la violence dans le western ou le film de guerre américain ou soviétique... — dans la peinture : l'horreur chez Bosch, Goya ; mais aussi tant de jugements derniers, de triomphes de la mort, d'Orcagna à Michel-Ange ; de descriptions physiques de la douleur et de l'humiliation, avec les Christ aux outrages, les crucifixions, les piétà, de Giotto à Grünewald... Liste parfaitement arbitraire, et qui pourrait être inépuisable : si l'art ne cesse de se pencher ainsi sur les formes diversifiées de la misère humaine, c'est que celle-ci est précisément un spectacle universel et incontournable.

En nous en tenant au roman et au théâtre, nous chercherons comment le lecteur, ou le spectateur, vont donc se retrouver dans cette peinture, lui demander une projection de leurs souvenirs et de leurs angoisses ; avant d'étudier s'ils n'y cherchent pas aussi, sous des formes diverses, les éléments d'une consolation, ou, mieux, d'un dépassement, dont l'oeuvre d'art peut au moins suggérer les voies. I.

Familiarité et exemplarité. Les événements évoqués constituent souvent la trame de notre vie et celle de l'histoire.

Ils marquent plus que d'autres, par leur nature même.

Nous demanderons donc à leur expression artistique un écho de nos préoccupations, de notre peur du passé et de l'avenir, un témoignage sur l'urgence du présent : 1.

La mort. C'est le grand mystère auquel nous sommes tous confrontés, générateur d'interrogations (le passage, le néant, la vie éternelle..., et cela au-delà des formes et des circonstances dans lesquelles elle se présente) : on ne s'étonnera pas qu'elle constitue un thème récurrent chez Malraux, à travers la guerre (L'Espoir) ou la révolution (La Condition humaine).

Ni que le spectateur nourrisse sa propre méditation de celle d'Hamlet.

Ni que, dans les périodes de doute, d'incertitude quant au sens de la vie et de l'histoire, le lecteur, lui-même obsédé par la mort, aille vers les personnages qui en subissent à la fois l'horreur et l'attrait : les héros du théâtre romantique comme Lorenzaccio, l'Octave et le Célio des Caprices de Marianne, le Prince de Hombourg de Kleist...

ou plus près de nous, le « dandy » désenchanté et quelque peu nihiliste d'Un beau ténébreux de Gracq. Une variante pourrait être constituée par les ouvrages qui nous décrivent la destruction d'une société d'un état rongé de l'intérieur par le vieillissement et l'usure, comme l'Orsenna du Rivage des Syrtes de Gracq ; la décomposition d'une forme historique ou sociale, comme l'armée enlisée, attendant la défaite et se dissolvant au fil de cette attente, du Balcon en forêt du même Gracq : on ne s'étonnera pas qu'un lecteur du xx= siècle y cherche et y trouve le reflet d'une époque énigmatique, instable.

Une autre expression pourrait en être l'impuissance à vivre et à communiquer des personnages des romans de Pavese, la fuite et la solitude volontaire du Cozzado de La Maison sur la colline, la tentation du suicide, présente dans Entre femmes seules (Rosetta), et dont on sait à quel point elle est une composante de l'univers mental de l'auteur lui-même.

Ou encore le dégoût existentiel de Roquentin dans La Nausée, avec cette forme particulière de la mort qu'est l'impossibilité d'achever le livre entrepris, la biographie du Marquis de Rollebon... 2.

La pression des événements. Les phénomènes collectifs peuvent se manifester à nous avec une telle force qu'ils suscitent le succès auprès du lecteur, et, pour l'écrivain, la nécessité de composition de livres qui en parlent, ne serait-ce que pour se faire les interprètes, les témoins du désarroi, du sentiment de panique et de vide ressentis par les individus isolés.

C'est tout particulièrement cette impression d'inexplicabilité et de malaise que reflètent les romans écrits sous le coup de la défaite de 1940 : Deuil en vingt-quatre heures de Pozner, ou La Chute de Paris d'Ilya Ehrenbourg.

Or ce traumatisme, qui est la marque d'une génération, nourrit, des années après, Les Chemins de la liberté de Sartre, notamment sa dernière partie, au titre révélateur : La Mort dans l'âme.

Mais on retrouverait un phénomène analogue après la guerre de 1870, chez Zola (La Débâcle), Maupassant (Boule-de-Suif) ou Daudet (Les Contes du Lundi).

Le roman, quels que soient sa structure, sa forme d'organisation, son style épique ou pointilliste, a bien ici une valeur chorale.

Et, au-delà des nécessités de la propagande, c'est bien l'expérience et la volonté de résistance de tout un peuple qu'expriment Les Vivants et les Morts de Simonov.

C'est le sentiment d'inutilité, la révolte, éprouvés devant la tuerie interminable de 1914-1918 que traduisent, dans les deux camps, Le Feu de Barbusse ou A l'Ouest rien de nouveau d'E.-M.

Remarque. 3.

La chanson du mal-aimé. Les thèmes en question ressortissent bien des grands thèmes universels.

Face à ceux-ci, on notera le facteur. »